Taxe carbone : comment éviter qu’elle pénalise les plus pauvres

Publié le par desirsdavenirparis5

Est-il possible de créer une taxe carbone écologiquement efficace et socialement acceptable ? Alors que l'idée d'introduire ce nouvel instrument dans la fiscalité française ne rencontre plus d'obstacle sur le principe, le débat se focalise désormais sur cette double interrogation.

La taxe carbone aussi appelée contribution climat énergie, vise, en renchérissant les prix de l'énergie fossile (fioul, essence, gaz...) utilisée dans les transports et les bâtiments, à faire baisser le niveau des émissions de gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique. Elle s'appliquerait aux entreprises et aux ménages.

 
Le gouvernement qui envisage de lancer cette réforme dès le projet de loi de finances 2010 a promis qui ni la compétitivité des premières, ni le pouvoir d'achat des seconds ne seraient affectés.

S'agissant des ménages, Michel Rocard, président de la conférence des experts chargée de faire des recommandations au gouvernement d'ici au 24 juillet, avait laissé filtrer sa préférence il y a quelques jours en évoquant un "chèque vert sous condition de ressources".

Les personnalités réunies pour la dernière fois autour de l'ancien premier ministre, jeudi 9 juillet, ont convergé vers cette idée d'une compensation financière accordée uniquement aux ménages les plus modestes. "Si l'on veut que le signal sur les prix de l'énergie soit efficace, il ne faut pas l'annuler pour tout le monde", explique Fabienne Keller (UMP), présidente du groupe de travail du Sénat sur la fiscalité écologique qui avait remis, la veille, un rapport favorable à la taxe carbone.

"TROUVER UN ÉQUILIBRE ACCEPTABLE SOCIALEMENT"

Jusqu'à quel niveau de revenus faudrait-il aller ? "Le curseur n'est pas arrêté mais, pour que la taxe atteigne son but, il me semblerait raisonnable de limiter les mesures de compensation au quart des Français les plus pauvres", avance Yves Martin, ancien président de la mission interministérielle sur l'effet de serre et bras droit de Michel Rocard dans cette opération.

Outre le revenu, d'autres critères pourraient être pris en compte, comme le nombre de personnes par famille, ou le fait d'habiter en milieu rural qui introduit, comme l'ont montré les études de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), une vraie inégalité face à l'impôt.

A 32 euros la tonne de CO2 en 2010, la taxe ponctionnerait 300 euros en moyenne à un ménage vivant à la campagne – tributaire de son véhicule pour se rendre à son travail et chauffant sa maison individuelle au fioul –, contre 80 euros pour un parisien résidant dans un immeuble collectif.

L'animateur Nicolas Hulot, qui porte cette proposition de taxe carbone depuis la campagne présidentielle de 2007, avait suggéré de reverser l'intégralité de l'impôt collecté auprès des ménages sous forme d'un "chèque vert" identique pour tous et correspondant à la facture énergétique moyenne d'un Français.

Jeudi, il se montrait satisfait de la tournure des débats : "Nous avions fait cette suggestion car elle permet d'effacer totalement l'impact de la hausse de l'énergie sur les foyers les plus modestes en pénalisant de plus en plus lourdement ceux qui ne font pas d'efforts pour changer leurs comportements. Mais que ce chèque ne soit pas versé à tout le monde ne nous pose pas de problème. L'important est de trouver un équilibre acceptable socialement qui permette d'enclencher dans notre société des comportements collectifs vertueux."

L'Ademe a calculé qu'avec un "chèque vert" de 160 euros, les ménages modestes seraient bénéficiaires nets de la taxe carbone. Les 10 % des ménages ruraux les plus modestes "gagneraient", par exemple, 19 euros une fois payées leurs factures de chauffage et de carburant. En milieu urbain, 50 % des ménages – c'est-à-dire ceux situés en dessous du revenu médian qui s'élevait à 27 150 euros en 2006 – resteraient encore gagnants de 15 euros.

"Nous avons travaillé très finement. Il n'est pas question d'affaiblir ceux qui ont déjà le plus de mal à s'en sortir. Ils sont locataires, n'ont pas toujours accès au crédit pour changer leurs équipements", souligne Gaël Callonnec, économiste à l'Ademe.

L'enjeu est ailleurs. "Il faut que les plus aisés qui par leur mode de vie émettent le plus de gaz à effet de serre modifient leurs habitudes. Ils en ont les moyens. Cela est d'autant plus important qu'ils structurent les désirs de consommation du reste de la population", souligne Yves Martin. Les "riches" devront montrer l'exemple sous peine d'être de plus en plus lourdement ponctionnés puisque la taxe carbone a vocation à augmenter progressivement.

PAS DE HAUSSE DU NIVEAU D'IMPOSITION

Au Centre d'analyse stratégique, où se tenait la réunion, l'idée semblait agréer le député PS Jean-Yves Le Déaut comme la sénatrice UMP Fabienne Keller. De la même façon que le bonus-malus automobile a permis d'identifier les véhicules les plus polluants, la taxe carbone doit permettre de cibler les modes de vie cohérents avec la lutte contre le réchauffement.

Quelle que soit la forme que prendra au final la compensation, il est par ailleurs acquis aux yeux des experts que la création de la taxe carbone ne doit pas entraîner une hausse du niveau actuel d'imposition et donc se traduire par la baisse d'autres prélèvements. Lesquels ? Le débat reste ouvert.

Les partisans d'une suppression de la taxe professionnelle - un temps évoqué par le président de la République - se sont trouvés isolés car "il serait particulièrement inacceptable de faire financer par les ménages la baisse d'un impôt jusqu'alors payé par les entreprises", a fait valoir Jean-Yves Le Déaut (PS).

En revanche, la nécessité de mener de front la création de la taxe carbone avec une mise à plat de l'ensemble de la fiscalité semble faire l'unanimité. "Nous sommes d'accord sur le fait que la création d'une taxe carbone marquerait le début d'un basculement ambitieux d'une fiscalité qui pénalise le travail vers une fiscalité qui protège l'environnement", se réjouit Nicolas Hulot.

Le chemin sera long. La fiscalité environnementale représente aujourd'hui 3,8 % du produit intérieur brut, soit dix fois moins que la fiscalité pesant sur le travail.



Laurence Caramel
LE MONDE | 10.07.09

Publié dans Ecologie-Environnement

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