La "Maison commune" fait un flop à gauche
La «maison commune» souhaitée par Martine Aubry passera-t-elle l'été? Ce vendredi, la première secrétaire du parti socialiste a envoyé un courrier aux autres partis de gauche (sauf le NPA et LO), afin de «surmonter les divisions de nos mouvements» et de «convaincre les Français que nous incarnons, ensemble, une alternative solide et durable pour bâtir un autre modèle de développement, un nouveau modèle de société, un nouveau monde».
Lors d'un point-presse à l'issue du séminaire de travail de Marcoussis, mardi, elle avait également estimé que ce n'était pas «le moment de se poser la question d'une alliance au premier tour avec le MoDem», espérant parvenir à reconstruire la gauche plurielle défunte. Ne rappelle-t-elle d'ailleurs pas dans sa lettre «que c’est toujours en étant unis que nous avons connu nos plus belles victoires au service de nos concitoyens, en 1936, en 1981 et en 1997, mais aussi récemment nos plus belles victoires locales»?
Pourtant, la main tendue a de fortes chances de faire long feu. Déjà, plusieurs dirigeants socialistes ont multiplié les appels à l'union dès le premier tour des prochaines régionales (Benoît Hamon -ici-, Harlem Désir -ici-, Jean-Marc Ayrault -ici-), subissant autant de fins de non-recevoir un peu humiliantes. Daniel Cohn-Bendit allant même jusqu'à dénoncer ce vendredi ces socialistes qui «nous cassent les pieds». Froissés, Hamon comme Ayrault ont pris acte et ruminent leur désavœu (le premier sur son blog, le second dans un «courrier»).
Fort de son succès électoral, Europe Ecologie entend surfer sur sa dynamique en affichant une autonomie dans toutes les régions (lire notre reportage), allant même jusqu'à s'inscrire dans une stratégie de recentrage/débauchage, ouvrant ses bras aux amis de Corinne Lepage, comme au Pôle écologique du PS (qui dit avoir «bien reçu le message», dans nos colonnes). Pour autant, comme le rappelle Henri Emmanuelli à Mediapart, «il faut faire très attention avec les scores des européennes. J'ai encore en tête les fanfaronnades de Brice Lalonde en 1994, quand il m'a annoncé que nos courbes allaient se croiser dans les urnes. Il est où maintenant, Brice Lalonde?».
Cette semaine, l'ambition verte a connu sa première brèche avec le départ de la députée Martine Billard (ainsi que le philosophe Paul Ariès) pour le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier apparaît aujourd'hui au centre du jeu, à la gauche du PS, comme pivot d'un nouveau Front de gauche qui continuerait à «snober le PS», qui irait du NPA jusqu'aux communistes, en passant par les autres micro-organisations réunies dans la Fédération. Problème, aucune des composantes n'a la même approche stratégique. Olivier Besancenot se dit prêt à une «fusion technique» avec le PS au second tour, sans être membre de la majorité régionale. Mélenchon se dit prêt à une participation à l'exécutif, mais pas forcément à un accord de gestion, que privilégie encore sans le dire le PCF, qui détient un grand nombre de vice-présidents sortants. Le n°2 communiste Pierre Laurent indique ainsi à Mediapart qu'«il n'y a pas lieu de figer les lignes maintenant, alors qu'on peut encore les faire bouger dans les mois qui viennent». Préférant privilégier «les débats de fond sans exclure un rassemblement d'un côté comme de l'autre», il se lamente de «l'instabilité actuelle du PS, qui nous ordonne d'attendre pour y voir plus clair: dans certains endroits, on a de très bons bilans communs, dans d'autres ils sont déjà en route avec le MoDem».
Absence d'autorité, bal des égos et premiers désaccords publics
Il faut dire que la dynamique électorale du PS peine à séduire, souhaitant davantage laisser du temps au temps, plutôt que d'engager une profonde et salutaire rénovation. Le scrutin municipal à Hénin-Beaumont a mis au jourl'incroyable faillite socialiste locale, pente qu'Aubry n'aura pas franchement contrariée hier, et semble ne pas franchement vouloir contrarier aujourd'hui. Comme le symbole d'une absence d'autorité locale, qui se propagerait à l'échelon national d'un parti qu'elle dirige depuis plus de six mois. Mais qu'elle ne parvient visiblement pas à remettre sur les rails. Toutefois, si les mécontentements sont nombreux, le PS semble ne même plus avoir les moyens de s'offrir une crise ouverte.Les égos présidentiels sont toujours aiguisés. Derniers en date, François Hollande et Manuel Valls, qui viennent de fonder leurs propres clubs de réflexion, après que Pierre Moscovici se déclare candidat à des primaires. Prochainement, Vincent Peillon entend consolider le courant Espoir à gauche (lors d'universités d'été spécifiques à Marseille en août), où figurent également des proches de Ségolène Royal (qui a elle-même son propre calendrier). Quant à l'aile gauche du parti, qui peine de plus en plus à masquer son ras-le-bol de l'attentisme de la direction, elle a prévu de se réunir fin septembre pour faire le point.Enfin, certains piliers de la majorité actuelle de Martine Aubry font publiquement état de leur désaccord, comme Bertrand Delanoë (qui ne cache plus «[sa] frustration, [son] inquiétude et même, disons-le, une forme de colère») ou Arnaud Montebourg (qui dénonce «l’immobilisme systémique d’un parti devenu très vieux»). Au cabinet de la première secrétaire, on semble comme résigné devant le rejet suscité par l'offre d'Aubry pour les régionales. «Disons qu'on acte le désir d'autonomie de chacun, explique l'un de ses conseillers, tout en continuant de proposer une démarche la plus unitaire possible, toujours sans préalable ni exclusive. L'idée, c'est de créer des marqueurs dans la tête du peuple de gauche de ce que pourrait être une majorité régionale. Faute de mieux, on va essayer de mettre en avant une complémentarité plutôt qu'une concurrence.» Pourtant, ils sont nombreux chez les socialistes à redouter de ne plus être en tête à gauche dans de nombreuses régions, à l'issue du premier tour, en mars prochain. Pour tenter de sauver les apparences, la direction socialiste a prévu de convier ses «partenaires» à ses différents rendez-vous de «travail» (assises des territoires, journée sur l'emploi, convention sur l'économie). Au moins espère-t-elle demain avoir plus de chance d'être entendue, et de ne plus apparaître comme un repoussoir pour des partis qui rêvent de contester son leadership, aujourd'hui bien fragilisé.