Occupy Wall Street : contre la finance, la guerre est déclarée
Dans la mouvance des “indignés” et du printemps arabe, les révoltés de Wall Street accusent les nouveaux ennemis de l’intérieur : les très riches.
Un mois que ça dure. Et un demi-siècle qu’on n’avait pas vu ça. Depuis le Vietnam, sans doute. Des Américains en guerre contre une certaine Amérique, celle qui « a volé le rêve américain » ; celle qui dit aux travailleurs qu’« ils n’ont pas droit aux soins, à un logement, à la nourriture » ; celle qui dit aux étudiants qu’« ils n’ont pas droit à un travail et seront endettés jusqu’à la fin de leur vie ». L’Amérique des très riches, le « 1 % de la population qui a détruit la nation et ses valeurs par sa rapacité ». (lire le manifeste) .
Ces protestataires encore peu nombreux ne sont, bien sûr, pas les « 99 % d’Américains » qu’ils prétendent être. Mais ils sont là, et bien là, pas facilement délogeables, debout, assis, allongés, jour et nuit, au cœur du « système », sur Zuccotti Park, à deux pas de Wall Street. Et organisés pour durer, avec infirmerie, cantine, bibliothèque, journal de bord (The Occupied Wall Street Journal) et conférence de presse biquotidienne... Des groupes d’occupation similaires se sont constitués dans plusieurs dizaines de villes américaines.
Comment sont-ils arrivés là, et pourquoi s’accrochent-ils ? Est-ce l’appel au rassemblement lancé en juillet par Adbusters, les activistes anticonsommation de Vancouver ? La vidéo des hackeurs d’Anonymous qui appelait à envahir le sud de Manhattan le 17 septembre ? La répression de la manifestation sur le pont de Brooklyn le samedi 1er octobre ? Un peu tout ça, évidemment. Les gauchos anarchisants du début ont été rejoints par des étudiants, des chômeurs, de jeunes salariés. Quelques syndicats ont manifesté un semblant de solidarité. La petite amicale hétéroclite des agitateurs médiatiques – Michael Moore, George Soros, Susan Sarandon, Joseph Stiglitz... – a fait son numéro. Et le « pouvoir » s’est à peine réveillé : « Je ne peux pas leur reprocher d’accuser la finance d’avoir mis le pays dans le pétrin », a tout de même lâché le président de la Fed (banque centrale), Ben Bernanke. « Nous comprenons », a fini par concéder le porte-parole de la Maison-Blanche.
Nous comprenons, vraiment ? D’Obama, il ne semble même plus être question chez ces squatteurs d’espace public. Le plan démocrate d’austérité budgétaire, miné par les républicains, opposés à toute remise en cause de la berezina fiscale des années Bush, a profondément atteint l’image du président. Pourtant, si les occupants de Wall Street se revendiquent du printemps arabe, ce n’est pas pour abattre le pouvoir politique, mais pour le pousser à résister au pouvoir corrupteur de la finance.
Nous ne savons pas si la promesse des hackeurs d’Anonymous de lancer une cyberattaque lundi 10 octobre contre le site du New York Stock Exchange sera couronnée de succès. Mais une évidence s’impose : en s’installant non loin des décombres du World Trade Center, source, il y a dix ans, de deux guerres contre l’« ennemi extérieur », et en choisissant de rendre hommage à la jeunesse des pays arabes, les occupants de Zuccotti Park, rebaptisée « place de la Liberté », montrent qu’une jeunesse américaine, révoltée par la ploutocratie, a changé d’ennemi : il est à l’intérieur.