Contrôles au faciès: la réponse de la police

Publié le par desirsdavenirparis5

Après le rapport sur les contrôles policiers d’identité, Mediapart publie un long entretien avec la porte-parole de la préfecture de police (la «PP») de Paris, la commissaire Marie Lajus. L’enquête des chercheurs du CNRS y est jugée digne d’intérêt. «Cette étude nous apporte des informations statistiques qui nous paraissent scientifiquement incontestables», commente ainsi la commissaire Marie Lajus, au sujet de l’enquête publiée cette semaine, qui avait été remise préalablement à la préfecture de police.

 

Un signe de cet intérêt marqué? «Tous les responsables de la PP ont souhaité en avoir un exemplaire», ajoute la porte-parole. «Il faudra en tirer les enseignements, notamment sur les aspects qualitatifs touchant au "ressenti" des jeunes gens qui, faute d’explications suffisantes, ont la conviction d’être contrôlés à cause de la couleur de la peau», déclare notamment la commissaire Lajus:

 

Avant d’aller plus loin, il est bon de mesurer le chemin parcouru. «Vos papiers. Que faire face à la police?» était le titre d’un ouvrage consacré aux contrôles d’identité et publié, en 2001, par le Syndicat de la magistrature (SM). Une sorte de guide juridique sur la question, écrit par Clément Schouler alors l’un des responsables du SM. A la demande de certains syndicats de police, le ministre (PS) de l’époque, Daniel Vaillant, avait alors obtenu l’ouverture de poursuites pour «injure» et «complicité de diffamation envers une administration publique», en l’occurrence la police nationale.

 

Une phrase de l’ouvrage y était particulièrement visée: «Les contrôles d’identité au faciès sont non seulement monnaie courante mais se multiplient.» Prolongée par Nicolas Sarkozy, devenu ministre de l’intérieur en 2002, la plainte avait prospéré jusqu’à la condamnation de tous les prévenus (auteur, éditeur et dessinateur de la couverture considérée comme spécialement malveillante). Après bien des mésaventures judiciaires, les condamnés avaient fini par être relaxés, en février 2009. Sept ans de procès ici rappelés par le SM...

«A Châtelet-Les Halles, on a plus de chance de trouver du cannabis sur un rasta»

 

A quoi servent, pour commencer, les contrôles d'identité opérés dans des lieux comme la gare du Nord ou Châtelet-Les Halles – qui font l'objet de discriminations massives à l'encontre des personnes perçues comme «noires» ou «arabes», selon l'enquête des chercheurs du CNRS? Réponse de la commissaire Lajus:

 

La porte-parole de la «PP» met donc en avant le caractère «avant tout dissuasif et préventif» de ces contrôles, dans des lieux présentés comme «criminogènes». Il s'agit d'un «outil de lutte contre la délinquance» – en particulier contre les violences de «bandes», le port d'armes blanches, les agressions ou le trafic de stupéfiants. Les policiers interviennent selon des «critères empiriques», relevant de leur «sens opérationnel» ou de leur «intuition» – et «pas d'une connaissance scientifique».

 

Alors qu'un syndicat policier, Unité Police, a réagi au rapport en dénonçant des «quotas» et des «objectifs chiffrés» imposés par le gouvernement, la commissaire Lajus affirme qu'«il n'a jamais existé la moindre circulaire fixant des chiffres sur les contrôles d'identité». Du côté du «flair», les policiers se basent aussi sur «un ensemble de connaissances qui portent sur les interpellations» passées, notamment lors des rixes à la gare du Nord ou au Châtelet, qui ont dessiné un portrait type, selon la commissaire Lajus : «Des hommes, de 15 à 25 ans avec une forte part de minorités visibles.» Comme l'a indiqué le rapport, il ne s'agit «pas de racisme» mais d'une pratique provoquée par «une apparence globale» mettant en jeu «la couleur de la peau, l'apparence vestimentaire ou l'âge».

 

N'y a-t-il pas, toutefois, des limites à cette argumentation? Quand on l'interroge sur les raisons objectives de contrôler davantage ce type de personnes en matière de lutte contre le trafic de drogues, par exemple, la commissaire Lajus répond: «On sait très bien que des hommes en costume-cravate peuvent aussi être porteurs de stupéfiants.» Bref, la tactique policière n'est «pas parfaite»... «sauf que, à Châtelet-Les Halles, on a plus de chance de trouver du cannabis sur un rasta».

 

Il faut insister: les jeunes femmes sont très peu contrôlées; ne peuvent-elles pas transporter des armes ou des drogues, pour elles ou pour leurs amis de sexe masculin? «Effectivement, il y a une logique un peu probabiliste de notre pratique», concède la porte-parole. Du bout des lèvres, elle admet même un problème d'efficacité policière: «On va passer à côté d'une arme blanche ou de produits stupéfiants.»

Au final, la population visée en priorité – des hommes jeunes appartenant aux «minorités visibles» – l'est en raison de «paramètres empiriques (et) pas scientifiques, dont on peut se demander quelle est la part des présupposés et de préjugés».

«On entend ce message d'insatisfaction, voire de rage»

 

Ce type de contrôles ne vient-il pas miner les rapports police-population, alors que la première a besoin de la seconde pour (notamment) obtenir les témoignages qui lui permettront d'assurer ses missions? «Il est certain que cela doit être difficile à vivre» pour les personnes qui sont souvent contrôlées «en raison de leur apparence vestimentaire, de la couleur de leur peau», relève la commissaire. «C'est un message central de l'étude et nous l'entendons bien», ajoute-t-elle, tout en soulignant que cette enquête a aussi montré que «seulement 3%» des personnes contrôlées se sont plaintes d'un comportement «raciste» de leurs contrôleurs policiers (les trois quarts des contrôlés ont conclu à un comportement «neutre» de la police pendant le contrôle policier).

 

Pour autant, la plupart des personnes contrôlées à répétition en raison de leur couleur de peau ou de leurs vêtements «jeunes» (hip-hop, etc.) ont aussi exprimé leur ras-le-bol face à cette situation: «On entend aussi ce message d'insatisfaction, voire de rage», explique la commissaire, d'autant plus que «l'efficacité policière tient aussi à la qualité de ses relations avec la population». Aussi «la plus grande attention» sera-t-elle apportée par la PP à cet «impact» des contrôles d'identité sur une part importante de la population.

 

Au passage, la commissaire Lajus souligne l'une des limites de cette enquête. «Comme l'étude a été effectuée sans contact préalable avec la police, les enquêteurs n'ont pas pu établir dans quel cadre légal on effectuait tel ou tel contrôle d'identité», remarque-t-elle. «A la période et dans les lieux considérés, la gare du Nord et le Châtelet, on peut penser qu'il s'agissait beaucoup de lutte contre la délinquance des bandes.» De leur côté, les enquêteurs avaient opté, dans cette étude, pour une méthodologie qui ne permettait pas aux policiers de se savoir «observés» afin de mieux appréhender le type de populations «ciblées» par les contrôles d'identité. La quadrature du cercle?

«Il n'est pas exact de dire que les jeunes seraient contrôlés selon leur faciès», Christian Estrosi

 

 

La première recommandation du rapport semble donc (plus ou moins, selon le degré d'optimisme) bien reçue: la police devrait d'abord reconnaître franchement qu'il y a un problème de discrimination des «minorités visibles» lors des contrôles d'identité. Une autre recommandation – la remise d'un formulaire à toute personne contrôlée, indiquant notamment les motifs du contrôle – demandera le temps d'un examen officiel.. «Cela paraît incompatible avec le cadre légal français» que de mentionner ainsi «l'appartenance ethnique ou la couleur de la peau», balance la commissaire. «Mais nous retenons la nécessité de mieux expliquer les raisons d'un contrôle d'identité, son cadre légal, par exemple quand le procureur de la République demande de procéder à des contrôles d'identité sur un lieu donné» pour lutter contre tel ou tel type d'infractions.

 

La porte-parole de la PP remarque enfin que la police prenait déjà au sérieux (avant la remise du rapport) la question de «la discrimination», notamment par le biais de modules de formation consacrés à la question. «Mais les esprits progressent lentement, dans la police comme ailleurs», note-t-elle. Interrogée sur l'éventuelle existence de données relatives à la diversité sociologique de la police parisienne, la commissaire répond qu'«il n'y a évidemment pas de statistiques sur la question. Mais la police a augmenté sensiblement son recrutement d'adjoints de sécurité ou de contractuels qui proviennent notamment de quartiers populaires des départements de la petite couronne et dont une bonne partie sont devenus policiers. Le profil des policiers a donc vraisemblablement beaucoup évolué et on peut en attendre une appréhension individuellement sensible à ce genre de problématique».

 

 

Pour prolonger le débat, on rappellera que le rapport sur les «minorités visibles» adressait aussi des recommandations aux autorités politiques françaises. Christian Estrosi, le député des Alpes-Maritimes qui est aussi l'auteur de la proposition de loi sur les «bandes» dernièrement votée par l'Assemblée nationale, a réagi à sa façon. Jeudi sur France24, le nouveau ministre de l'industrie (qui se serait bien vu chargé de la sécurité dans ce gouvernement) a déclaré : «Il n'est pas exact d'affirmer que les jeunes seraient d'abord contrôlés par la police selon leur "faciès", noir ou arabe, comme l'a indiqué une récente enquête.»

 

Non seulement le ministre fait ainsi dire au travail conduit par les chercheurs du CNRS l'inverse de ce que leur étude établit, mais M. Estrosi tord certains de ses résultats dans un sens diamétralement opposé : «Seulement 3% des personnes qui sont interpellées et contrôlées s'en plaignent», a retenu le ministre, et «82% de personnes ne se plaignent pas du tout d'être contrôlées»... alors que cette dernière catégorie de personnes ont dit le contraire aux enquêteurs, massivement : «Près de la moitié des personnes interrogées [par les enquêteurs] ont indiqué être agacées ou en colère du fait du contrôle»... Daniel Vaillant, Christian Estrosi, même combat ?



Par Erich Inciyan

Mediapart.fr

Publié dans Exclusion-pauvreté

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