L’État est incapable de chiffrer le coût de sa politique d’expulsion des étrangers

Publié le par desirsdavenirparis5

L'Élysée sait fixer des quotas de reconduites à la frontière d'étrangers en situation irrégulière (27.000 en 2009), mais l'État est incapable de mesurer le coût de la politique d'expulsion. Depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, les parlementaires, y compris de la majorité, s'agacent de l'«opacité» des pouvoirs publics en la matière.

 

La cour des comptes, à la demande de la commission des finances du Sénat, a tenté de débroussailler la question. Dans un rapport qui vient d'être rendu public, elle évalue le coût total par an de la rétention en centres de rétention administrative (CRA) en métropole à 190,5 millions d'euros, soit 5.550 euros par personne. Ces CRA sont les lieux où sont enfermés les sans-papiers en instance d'expulsion. Chaque année, environ 35.000 étrangers y transitent, y compris des femmes et des enfants.

 

Ramené au nombre de retours forcés (14.411 en 2008), ce coût s'élève à 13.220 euros par retenu effectivement reconduit. Mais, comme le souligne la cour des comptes, ce calcul laisse de côté de nombreuses et lourdes dépenses: celles liées à l'interpellation, à l'éloignement et aux frais de justice. En dehors du prix des billets d'avion facile à identifier, les autres éléments «sont très complexes à appréhender, car la plupart du temps non individualisés au plan budgétaire: coût des interpellations, des gardes à vue, du fonctionnement des préfectures et de la justice, de la gestion des reconduites par la direction centrale de la police aux frontières». L'absence de transparence s'explique en partie par le fait que les crédits sont répartis sur neuf ministères, quinze directions administratives et trois programmes budgétaires. On peut néanmoins s'interroger sur le manque de volonté politique d'aboutir à un chiffre précis.

 

En novembre 2008, la commission des finances du Sénat avait sorti sa calculette. Elle évaluait à près de 21.000 euros le coût d'un éloignement forcé, comprenant une partie des frais de rétention, mais elle déclarait que ce montant devait être «affiné».

«Déni de droits»

 

À l'occasion de l'audition, mercredi 1er juillet, d'Éric Besson, le ministre de l'immigration, au Sénat par la commission des finances, Alain Pichon, le président de la quatrième chambre de la cour des comptes, a évalué à 450 ou 500 millions le budget global de la «gestion et maîtrise des flux migratoires». Selon nos calculs, cette somme pourrait être sous-évaluée, notamment parce qu'elle ne tient pas compte des dépenses en zones d'attente dans les aéroports (où sont retenues les personnes qui arrivent sur le territoire). «Nous sommes dans l'incapacité de mesurer la politique de reconduite à la frontière», regrette le centriste Jean Arthuis, président de la commission sénatoriale. «On n'a pas encore traduit cette politique dans une logique lolfienne», c'est-à-dire dans les critères d'évaluation budgétaire actuels, résume le représentant de la juridiction administrative, chargée de contrôler la régularité des comptes publics. «Le manque d'unité budgétaire nuit à la clarté et ne permet pas une analyse des coûts et des performances», ajoute-t-il.

 

Au-delà des aspects financiers, la cour des comptes dresse un état des lieux des conditions de rétention. Elle estime que la situation dans les CRA s'est «beaucoup améliorée». Ce qui ne l'empêche pas d'émettre des critiques. Selon elle, la capacité maximale des centres (140 places) mériterait une «réflexion» afin d'être revue à la baisse. Par ailleurs, indique Alain Pichon, «les chefs de centre manquent d'un cadre, d'un référentiel» si bien que les pratiques sont très différentes d'un endroit à l'autre, au risque de «créer des situations d'inégalité et de déni de droits». Par ailleurs, la présence des mineurs pose, selon lui, un «lancinant et douloureux problème», de même que celle des femmes. L'existence du CRA de Coquelles, près de Lille, est aussi problématique «car, en définitive, la France maintient ce centre afin de retenir pour les Anglais des personnes qui brûlent d'aller chez eux», indique-t-il. La cour juge, enfin, que le bilan à Mayotte et en Guyane n'est «pas bon».

De quoi satisfaire la Cimade

 

La cour des comptes est encore plus critique sur les locaux de rétention administrative (LRA), ces structures plus petites, souvent installées dans les commissariats, théoriquement de manière provisoire, et créées par arrêté préfectoral «lorsqu'en raison de circonstances particulières, notamment de temps ou de lieu, des étrangers ne peuvent être placés immédiatement dans un CRA»«Dans beaucoup de ces lieux, la frontière entre rétention et détention n'est pas forcément tracée.. Les agents sont les mêmes pour garder les exilés venus du Pakistan et les petits dealers (...). Dans les CRA, les droits fondamentaux sont assurés. Dans les LRA, le diagnostic est plus réservé», affirme Alain Pichon, qui note des dépassements dans la durée légale de rétention, par exemple à Bastia.

 

Au total, la cour ne cache pas ses doutes sur l'efficacité de la politique française de rétention menée successivement par Brice Hortefeux et Éric Besson : «Depuis 2006 (...), le nombre d'interpellations continue à progresser mais le nombre de mesures exécutées hors retour volontaire diminue, de même que celui du nombre de retenus effectivement reconduits. C'est pourtant parallèlement la période où l'État investit de manière importante dans le système de rétention.» Et plus loin: «La situation dans laquelle le nombre de retenus augmente alors que ceux effectivement reconduits sont de moins en moins nombreux est loin d'être satisfaisante et mérite de nouvelles réflexions sur le dispositif et son efficacité.»

 

Last but not least, l'instance administrative présidée par Philippe Séguin met en cause la décision du gouvernement de diviser en huit lots les CRA afin de marginaliser la Cimade dans sa mission de soutien juridique: «Il est incertain qu'un dispositif éclaté entre plusieurs intervenants par grandes régions puisse être plus efficace et moins coûteux qu'un dispositif national, dès lors qu'il est réellement souhaité conserver une vision d'ensemble sur les conditions d'assistance juridique et garantir qu'un retenu qui changerait de CRA bénéficie d'une continuité dans l'aide juridique apportée. En définitive, sur le plan budgétaire, la cour n'est pas convaincue par les arguments donnés par le ministère de l'immigration pour justifier le choix d'un dispositif d'allotissement géographique, de préférence à d'autres modalités pratiques, en vue d'assurer une diversité des personnes morales intervenantes.» De quoi satisfaire la Cimade, engagée depuis l'automne dernier dans un combat juridique avec le gouvernement.


Par Carine Fouteau

Mediapart.fr

Publié dans Migrations

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