Premier Atelier citoyen à Paris

Publié le par desirsdavenirparis5

UN COMPTE-RENDU DE RENE BOKOBZA ET LUCILE BOURQUELOT

Désirs d’Avenir Paris-Sud (sections des 14, 15 et 16ème arrondissement) a organisé  Vendredi 3 Avril 2009 le Premier Atelier Citoyen sur le thème d’un nouveau modèle de développement pour aller au-delà de l’archaïque PIB.


Cet atelier a été animé par Dominique MEDA, sociologue, actuellement chercheuse au Centre d’Etudes de l’Emploi (CEE). Elle mène une réflexion philosophique et sociologique sur la place du travail dans nos sociétés, les rapports entre économie et politique, les instruments avec lesquels nous mesurons la richesse d’une société, la place des femmes dans l’emploi, le modèle social français.

Elle vient de publier chez Champs actuel – Flammarion  « Au-delà du PIB : pour une autre mesure de la richesse »

Depuis quelques années, le thème de l’insuffisance du PIB comme indicateur exclusif de richesse et de « bonne santé » d’une société fait l’objet d’un début de débat public. Au niveau national et international, le besoin grandit d’un instrument de mesure qui refléterait l’évolution du bien-être collectif.

D.Méda s’interroge : « Pourquoi la production a-t-elle pris une telle place dans notre vie sociale, pourquoi l’objectif de nos sociétés modernes semble-t-il pouvoir se réduire à la production, pourquoi nous sommes nous focalisés sur la production (peut-être plus que sur la consommation). Dans cet essai, elle voudrait revenir sur le coup de force de l’économie, les présupposés philosophiques sur lesquels il est peut-être fondé, rassembler les critiques (faciles) que l’on peut faire à ceux qui assimilent production et richesse et proposer quelques solutions (c’est plus difficile).

Au cours des 18ème et 19ème siècles une suite de croyances philosophiques et de coups de forces de l’économie naissante ont permis d’asseoir les idées suivantes :
 
  - la richesse d’une société c’est sa production, c’est le taux de croissance de sa
     production.

Ne vont donc pouvoir rentrer dans le concept de richesse que les choses qui seront quantifiables et dont on pourra donc sans difficultés suivre l’accroissement. La comptabilité nationale, mise en place à partir de 1938 en France, va reprendre cette conception : ce qui intéresse la comptabilité nationale, c’est la production, et plus précisément la production marchande.

   - satisfaire le désir, et le désir d’un seul, quel que soit ce désir, est « utile » et
      constitue un gain de bien-être :

Dés lors, en substituant le désir individuel subjectif au besoin, l’économie rend impossible la construction d’un bien commun.  Désormais toute consommation est utile, toute consommation a de la valeur.

   - Produire, c’est transformer le monde ; consommer c’est à la fois augmenter
      l’utilité et accomplir un acte philosophique :

La production est d’une certaine manière sanctifiée en chacune de ses modalités. L’autre idée, c’est que la consommation transforme aussi profondément celui qui s’y livre.

D.Méda exprime les critiques suivantes à cette représentation :

   - N’y a – t – il pas quelque chose d’anachronique dans le fait de conserver, pour comparer les performances des sociétés, leur capacité globale – fondée sur une moyenne – à produire et consommer ?   La principale critique à l’égard du PIB, comme indicateur de richesse ou de bien-être, est que ses évolutions ne nous renseignent pas, ne donnent pas d’information ou de signaux fiables sur les risques que certains facteurs peuvent faire peser sur le développement de la société.

Pour résumer :

   - le PIB ne valorise pas des types d’activité ou des temps pourtant extrêmement importants  pour le développement des sociétés,
   - le PIB ne s’intéresse pas à la manière dont la contribution à la production et les revenus issus de celle-ci sont répartis entre les membres de la société,
   - il ne prend pas en compte les dégâts occasionnés à l’occasion de la production.

Dès 1996 le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) affirmait : « Le développement humain est une fin dont la croissance économique est le moyen. Il n’existe pas de lien entre développement économique et développement humain»

Pour suivre les évolutions de notre société il serait nécessaire de définir une sorte de « patrimoine » collectif .Les actes de production, on le sait fort bien maintenant, et les actes de consommation ont sur ce capital un effet qui peut venir le diminuer, qui peut le changer.

Certains auteurs parlent ainsi de capital « social » et de capital « humain ». Il faudrait aussi regarder, quand on compare les performances de différentes sociétés, leur capacité à faire travailler le plus de personnes, leur taux de chômage, leur taux de travail féminin.

Ce à quoi nous devrions nous intéresser c’est à la croissance d’un ensemble beaucoup plus large que la seule production, d’un patrimoine général qui nous échoit, que la production contribue certes à augmenter mais aussi à diminuer :capital naturel + humain + social.

Quelles solutions, quelles alternatives ?

En premier lieu, il faut développer des indicateurs alternatifs qui peuvent être rangés en deux grandes classes : les indicateurs alternatifs eu PIB (a) ; les indicateurs visant à corriger le PIB (b) :

 - a) le premier et le plus ancien est celui du PNUD : l’indicateur de développement
     humain (IDH)

Cet indicateur est la moyenne de trois indicateurs permettant chacun de classer les pays sur un échelle de 0 à 1 : le PIB par habitant, l’espérance de vie à la naissance et le niveau d’instruction.

Un autre indicateur est l’Indice de Santé Sociale – ISS (Miringoff) qui est calculé à partir de 16 indicateurs élémentaires (mortalité infantile, maltraitance des enfants, pauvreté infantile…)

Un troisième indice est l’Indice de Bien-être Economique (Osberg et Sharpe)

Cet indice composite est constitué de plusieurs critères : consommation marchande par tête, dépense gouvernementale par tête, travail domestique non rémunéré, R&D par tête, ressources naturelles par tête…

Cet indice est très séduisant notamment par sa décomposition en plusieurs sous ensembles qui permettent de mettre en évidence quelle dimension contribue le plus à la dégradation et quel est l’impact des pouvoirs publics.

Remarque intéressante : alors que le graphique représentant le PIB continue son ascension, celui des autres indices stagne, voire régresse.

   b) Les indicateurs procédant par correction du PIB :

On peut citer : l’Indicateur de Progrès Véritable (Genuine Progress Indicator – GPI) qui comprend plusieurs critères : valeur du travail domestique, services des biens durables, valeur du bénévolat, coût de la pollution domestique…

Quelles solutions concrètes pour avancer ?

   - Faut-il soutenir les tenants de la décroissance et jeter le concept de développement durable ? Il ne semble pas. Ce qui est intéressant dans ce dernier est d’essayer de tenir ensemble les trois dimensions : économiques, sociales et environnementales. On ne peut pas en jeter une à la poubelle.

   - Comment amorcer le processus ?

Les critiques n’ont pas manqué à l’endroit des nouveaux indicateurs, et notamment leur caractère arbitraire : qui va donc décider que la répartition des biens, l’accès de tous aux soins ou à l’éducation, la préservation des ressources naturelles est une bonne chose ?

A ce type de critique, une seule réponse possible : les réponses doivent émerger du débat public : débats sur la société que nous voulons, débats sur le prix que nous sommes prêts à payer pour une société plus solidaire et plus durable, débats sur les moyens d’y parvenir.

Au niveau national, la discussion au moins annuelle sur les évolutions des diverses
composantes de l’indicateur synthétique, devrait amener le Parlement à proposer des politiques publiques structurantes permettant la conciliation des trois piliers du développement durable.

Au niveau local, la production d’indicateurs détaillés par les entreprises (par exemple par une meilleure utilisation du bilan social) devrait inciter les parties prenantes de l’entreprise mais aussi les élus et les associations à alimenter un dialogue social territorial et à engager des politiques vertueuses.
 
Un tel processus permettrait certainement d’anticiper des restructurations douloureuses ou de corriger des politiques de gestion de l’emploi coûteuses pour la collectivité.

Il semble qu’il faut donc commencer en même temps la construction d’indicateurs macro et micro (coûts cachés / coûts évités), réfléchir à une nouvelle comptabilité pour les dépenses d’investissement social et les discuter dans des enceintes particulières.

Il faut certainement aussi voir de quelle manière on peut réintroduire cela dans les normes comptables qui orientent les comportements des marchés.

Un riche débat s’instaure avec les participants à l’atelier, démontrant l’intérêt porté à ces questions. Une idée ressort : la discussion publique de ces questions fait avancer la démocratie dans nos sociétés.

Dominique Méda est chaleureusement remerciée pour son exposé clair et argumenté.

Après l’intervention de Dominique Méda, vingt-deux personnes sont restées pour participer au débat interne, la plupart adhérents récents à DA n’avaient pas l’expérience des débats participatifs et ont dit leur surprise et leur plaisir.
La question posée était ambitieuse, à la mesure des attentes éveillées par l’exposé de Dominique Meda:.

Comment les citoyens peuvent-ils s’approprier les nouveaux indicateurs de richesse ?

La quasi-totalité des participants sont intervenus.

La notion de développement humain confrontée aux lacunes et contre sens du PIB reste le principal acquis de la soirée. L’approche le plus immédiate apprivoise la nouvelle notion en la rapprochant des critères de bien-être ou de bien vivre, de qualité de vie que chacun, comme citoyen,  comme consommateur, comme travailleur, est amené empiriquement à construire au cours d’une vie       
.L’évolution de comportements individuels de consommateurs traduit au niveau des consciences individuelles le passage du paradigme de la consommation à celui du développement humain. Dans le débat la bonne humeur et l’optimisme prévalent

lorsque à placer l’humain et l’expérience vécue au centre de la réflexion politique on en arrive à rêver d’indicateurs de bonheur, si personnelle que soit la définition de celui-ci. La notion de développement humain et les indicateurs de développement humain (IDH) s’inscrivent donc assez naturellement dans l’expérience individuelle des participants.
L’adhésion générale à l’IDH ne signifie pas pour autant l’abandon du PIB Cette donnée garde une valeur. dans le cadre nouveau où la politique se donne pour finalité non plus la croissance économique, mais le développement humain, à condition d’en cerner les éléments négatifs et de l’articuler avec les indicateurs de développement humain. , par exemple le bien-être matériel qui n’est pas acquis par tous au Nord et surtout au Sud et qu’il peut aider à évaluer. De même une politique de répartition du travail et corrélativement de réduction du chômage , indicateur de développement humain,

Le troisième point concerne les relations du développement humain et de la préservation de la planète. .L’homologie du développement durable appliqué à l’environnement et du développement humain est soulignée. La croissance verte inclut clairement l’humain, car elle allie production, , qualité et protection de la nature, et bien-être.  La quantification de l’extinction des espèces doit être considérée comme un indicateur de développement humain.
Quatrième orientation du débat : les indicateurs de développement humain apparaissent comme des outils nouveaux pour une nouvelle politique. . Leur élaboration et leur prise en compte permettent un développement de la démocratie. On peut s’approprier l’idée et construire des indicateurs variés à des échelles différentes de décision. Leur popularisation et leur diffusion doit se faire par les réseaux auxquels nous participons.


René BOKOBZA et Lucile BOURQUELOT
Coordination DA PARIS
3 Avril 2009


  


Publié dans Exclusion-pauvreté

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