La social-démocratie, victime inattendue de la crise

Publié le par desirsdavenirparis5

Tel le crime, le théorème était presque parfait. La droite, c'est le camp du capital. Donc du capitalisme. Puisque celui-ci est en crise, la droite l'est également. La gauche ne pouvait donc que gagner les élections européennes. Problème : dans toute l'Union, les électeurs ont retourné leur bulletin de vote contre la gauche social-démocrate. Est-ce parce que les 21 gouvernements de droite ne gèrent pas la crise si mal que cela ? Sans doute. Mais cela n'explique pas tout puisqu'en Allemagne, où les deux partis sont au pouvoir, la CDU obtient un score bien supérieur à celui du SPD. C'est donc que la gauche n'est pas crédible. Soit parce que son bilan ne plaide pas en sa faveur, soit parce qu'elle n'incarne pas l'avenir. Deux hypothèses qui se renforcent plus qu'elles ne s'excluent.

La première n'est que trop évidente : la gauche ne gère pas mieux que la droite. La situation catastrophique de l'Espagne, de la Grande-Bretagne et du Portugal, dirigés par des socialistes, le prouve. Surtout, que les partis conservateurs soient l'émanation politique des thèses libérales ne saurait occulter que la social-démocratie, par opportunisme ou aporie intellectuelle, n'a cessé, ces dernières décennies, de s'adapter à la fameuse "loi du marché".

Bien sûr, il y a l'exemple britannique, que nul n'incarne mieux que Gordon Brown, principal artisan de la dérégulation durant ses dix ans passés au ministère des finances. Aujourd'hui le système est à bout de souffle. Voir les membres du Parlement jadis le plus respecté du monde se vautrer dans l'argent comme de vulgaires parvenus de la City illustre jusqu'à la caricature la dérive des années Blair.

La gauche anglo-saxonne n'est pas la seule à s'être laissé séduire par les sirènes libérales. Même les Allemands y ont succombé. Comme le montrent le score correct de Die Linke (7,5 % des voix) et celui du SPD (20,8 %), le plus bas depuis la seconde guerre mondiale, la gauche allemande n'a toujours pas fait le bilan des années Schröder. Doit-elle se féliciter que la politique libérale du prédécesseur socialiste d'Angela Merkel ait rendu à l'Allemagne sa compétitivité de jadis ou au contraire juger trop lourd le prix payé : développement du travail précaire et émergence de travailleurs pauvres à l'ouest ? Le SPD n'a pas plus tranché que son homologue français.

Pourtant, le PS dispose d'une "déclaration de principes" adoptée en juin 2008. Un document important puisque le parti ne s'est plié à cet exercice qu'à cinq reprises depuis 1905. On y lit qu'"être socialiste, c'est ne pas se satisfaire du monde tel qu'il est". Ou que "les socialistes portent une critique historique du capitalisme, créateur d'inégalités, porteur d'irrationalité, facteur de crises". Mais ce document a été rédigé à la va-vite, en trois réunions. Résultat : sitôt publié, sitôt oublié.

Surtout, comment ne pas relever les contradictions du texte et certaines réformes conduites par les socialistes ? Qui a libéré les marchés de capitaux ? Pierre Bérégovoy, ministre des finances de François Mitterrand de 1988 à 1991. Qui a rendu plus attractive la fiscalité sur les stock-options ? Dominique Strauss-Kahn, titulaire du même portefeuille une décennie plus tard. Qui, en 2000, jugeait qu'il fallait réduire l'impôt sur le revenu, y compris des plus riches "afin d'éviter la fuite ou la démotivation des contribuables aux revenus les plus élevés" ? Laurent Fabius, dans les mêmes fonctions. Que pense le PS de ces réformes ? Qu'elles ont contribué au succès international des groupes français et donc à la grandeur du pays ? Que ce sont de nécessaires compromis avec le capitalisme qui nous entoure ? Qu'elles ont participé aux excès de la finance et à l'accroissement des inégalités ? Nul ne le sait. Le rapport de la gauche à l'argent reste un impensé. D'où le malaise de nombreux électeurs et militants. Comme partout en Europe.

Heureusement pour elle, la gauche française n'a pas connu de scandale comparable au SPD quand M. Schröder est devenu l'un des (riches) dirigeants de Gazprom moins d'un mois après avoir quitté la chancellerie. Malgré tout, certains parcours individuels de ministres ou de leurs conseillers à la tête de grands organismes internationaux ou de grandes entreprises privées (Capgemini, Casino, Cetelem, Lazard, demain France Télécom...) brouillent les frontières entre la gauche et la droite et déstabilisent l'opinion. Vu le chacun pour soi qui règne Rue de Solferino, comment ne pas penser que, pour nombre de leaders socialistes, l'exercice du pouvoir est davantage vécu comme un accélérateur de carrière que comme une mission reçue d'électeurs soucieux de changements collectifs ? Ce n'est pas un hasard si, malgré les limites évidentes du sympathique attelage, nombre d'électeurs de gauche se sont reportés sur une liste conduite par un éternel rebelle qui ne briguera pas l'Elysée et une magistrate symbole de la lutte contre l'argent fou.

Pendant vingt ans (1988-2008), la social-démocratie a pu, au nom de la construction européenne et de l'euro, faire accepter le libéralisme au nom du fédéralisme. Moins d'Etat mais plus d'Europe. Ce cycle s'achève et, comme le prouve l'engagement de certains socialistes en faveur de José Manuel Barroso, la gauche européenne n'a plus ni leader ni programme crédible. Et rien n'indique que le rose et le vert se marient harmonieusement.

Courriel : lemaitre@lemonde.fr


Frédéric Lemaître
Article paru dans l'édition du 17.06.09

Publié dans DA-PS

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