Natixis: les fabuleux honoraires de François Pérol

Publié le par desirsdavenirparis5

Par Laurent Mauduit
Mediapart.fr, 14 Mars 2009
 
Découverte par Mediapart, c'est une information qui risque de renforcer les polémiques autour de ce qu'il est désormais convenu d'appeler «l'affaire Pérol» : l'ancien secrétaire général adjoint de l'Elysée, François Pérol, que Nicolas Sarkozy a propulsé, bien que la loi l'interdise, à la présidence de la Caisse nationale des Caisses d'épargne et des Banques populaires, en vue de préparer leur fusion, et de sortir de la crise leur filiale commune Natixis, a perçu en 2006 pour près de 1,5 à 2 millions d'euros d'honoraires, versés par la même société... Natixis.
 
Cette rémunération, dont François Pérol n'a jamais parlé publiquement, vient confirmer la situation de conflits d'intérêt dans lequel il se trouve même si, vendredi 13 mars, il a très discrètement démissionné de la fonction publique.
 
Ce nouveau volet de l'histoire commence à la fin de l'année 2004. A l'époque, Nicolas Sarkozy quitte le ministère des finances pour rejoindre celui de l'intérieur. Directeur adjoint du cabinet du ministre en transit, François Pérol saisit donc la (devenue célèbre) Commission de déontologie pour lui demander s'il peut, lui, rejoindre la banque Rothschild en qualité d'associé gérant.
 
Dans une décision en date du 22 décembre 2004, révélée par Mediapart, qui figure à la page 108 de son rapport pour 2004, cette commission accepte dans les termes suivants : «Un conseiller au cabinet du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, précédemment chef du bureau "endettement international et assurance crédit" à la direction du Trésor peut exercer une activité d'associé gérant au sein d'un département d'une banque d'affaires sous réserve qu'il s'abstienne de traiter toute affaire dont il a eu à connaître dans ses fonctions à la direction du Trésor et au cabinet du ministre, ainsi que de conseiller la direction du Trésor.».
 
Or, loin de s'abstenir sous les trois années qui suivent de traiter des dossiers sur lesquels il a eu la haute main, comme la Commission de déontologie lui en fait l'injonction, François Pérol va devenir, quelque temps plus tard, le banquier conseil du patron des Banques populaires, Philippe Dupont. Il s'agit de préparer le projet de création à parité avec les Caisses d'épargne de la banque d'investissement Natixis, le premier établissement apportant la banque d'investissement Natexis (l'ex-Crédit national) dans la corbeille de mariage et le second établissement la banque Ixis.
 
Sur le plan de l'éthique des affaires, le cheminement de François Pérol retient l'attention. Au début de 2006, le patron de la Caisse des dépôts ne se doute en effet de rien. Officiellement, les Caisses d'épargne, qui sont liées à elle, par leur pacte d'actionnaires, ont une stratégie clairement affichée, qui consiste à préparer la CNCE à une introduction en Bourse. Et la banque conseil de la CDC, qui veille à la bonne marche de ce projet, n'est autre que la banque Rothschild.
 
A l'insu de son actionnaire référence qu'est la CDC, et en violation du pacte qui le lie à elle et qui lui fait obligation de lui soumettre tout projet de changement de stratégie, le patron des Caisses d'épargne, Charles Milhaud prend langue secrètement avec son homologue des Banques populaires durant l'hiver 2005-2006. Il décide d'abandonner le projet de cotation pour avancer vers une alliance en vue de créer Natixis. Cette violation du pacte d'actionnaires déclenche à l'époque une très vive controverse dont l'auteur de ces lignes a longuement rendu compte, dans des articles publiés par Le Monde dont retrouvera la trace dans ce billet de blog: Caisses d'épargne: les alertes du "watchdog".
La décision oubliée du 22 décembre 2004
 
En devenant le banquier conseil des Banques Populaires pour la création de Natixis, alors que la banque Rothschild est au même moment le conseil officiel de la CDC, François Pérol fait donc une très mauvaise manière à l'établissement public. C'est si vrai que le patron de l'établissement envisagera même de porter l'affaire devant les tribunaux, avant que la maladie dont il souffrait ne s'accélère et finisse par l'emporter.
 
Mais surtout, François Pérol viole la décision de la Commission de déontologie. Car les années antérieures, il s'était longuement occupé, au cabinet de Francis Mer puis de Nicolas Sarkozy, des dossiers de la Caisses des dépôts et des Caisses d'épargne. La décision de la Commission de déontologie lui fait donc obligation de ne surtout pas s'approcher durant les trois années suivantes d'un dossier tel que celui de Natixis, dont l'une des maisons mères sont les Caisses d'épargne.
 
Or, non seulement l'associé gérant François Pérol va s'en occuper et en devenir l'un des concepteurs. Mais, de surcroît, son rôle dans la création de Natixis va lui permettre de percevoir une somme très importante, approchant 2 millions d'euros, selon les informations confidentielles obtenues par Mediapart.
 
Ce chiffrage de 1,5 à 2 millions d'euros peut facilement être corroboré. A la page 139 du «document de référence» de Natixis pour 2006, il est précisé que Natixis a engagé la dépense suivante : «40,7 millions d'euros de charges liées à l'opération ″Champion″ [la création de Natixis-NDLR] et à l'opération de marché (banquiers conseil, commissaires aux apports, avocats), dépenses de communication (campagne publicitaire pour la quote-part supportée par Natixis) et dépenses événementielles (road shows)». Le document ne précise toutefois pas la part affectée spécifiquement aux banquiers conseil, en l'occurrence Rothschild.
 
Dans un autre document enregistré par l'Autorité des marchés financiers en date du 16 octobre 2006, à la page 59, la fourchette, toutefois, se resserre un petit peu, puisqu'on y relève ceci : «Les dépenses liées à l'opération (honoraires des conseils et des commissaires aux apports) sont estimées à 35 millions d'euros». Ce chiffrage est donc en ligne avec l'évaluation obtenue par Mediapart, selon laquelle la banque Rothschild aurait obtenue une rémunération comprise entre 25 et 30 millions d'euros.
 
Or, dans les grandes banques d'affaires, l'usage veut que les associés gérants, qui pilotent les travaux de la banque, perçoivent le plus souvent un montant égal à environ 10% à 15% des montants perçus par leur établissement. Soit, dans le cas présent, 3 à 5 millions d'euros. CQFD: comme François Pérol était l'un des deux associés gérants de Rothschild qui conduisait l'opération, il a perçu près de la moitié de cette somme. Des évaluations plus importantes nous ont été fournies, mais ne pouvant les corroborer, nous ne les avons pas retenues. Mediapart a interrogé François Pérol sur le sujet vendredi en fin de journée mai n'a pas obtenu de réponse.
 
Résumons. François Pérol a donc passé outre l'obligation que lui avait faite la Commission de déontologie de ne pas traiter d'un dossier tel que celui de Natixis, ce qui lui a permis d'empocher de fabuleux honoraires. Et maintenant que le naufrage de la même banque Natixis a entraîné les Caisses d'épargne et les Banques populaires dans une invraisemblable tourmente, le chef de l'Etat présente le même François Pérol, co-responsable de la crise, comme le seul à même d'organiser le sauvetage.
Sarkozy signe un décret pour protéger Pérol
 
Quoi qu'il en soit, l'affaire va donc de nouveau rebondir. Car, de jour en jour, l'étau politique et surtout judiciaire se resserre sur François Pérol. Visiblement, ce dernier en est bien conscient, car il a discrètement cherché une première parade. Sans que nul ne le remarque, le Journal officiel, daté de vendredi 13 mars, a en effet publié un décret signé de la main de Nicolas Sarkozy, où l'on peut lire ceci : «Par décret du président de la République en date du 11 mars 2009, la démission de M. Pérol (François), inspecteur général des finances, est acceptée».
 
On comprend l'habileté. Si François Pérol a démissionné de l'Inspection des finances, avec l'assentiment du chef de l'Etat, il n'est donc plus membre de la fonction publique. Autrement dit, une voie de contestation juridique devient quasi impossible : pour remettre en cause sa nomination aux Caisses d'épargne et aux Banques populaires, il n'est plus possible de contester devant le juge administratif l'éventuel arrêté de mise en disponibilité qui aurait pu être pris par le responsable de l'administration dont il dépend, en l'occurrence le chef de l'Inspection des finances.
 
Or, cette contestation-là, devant le Conseil d'Etat, était la plus menaçante : sans appel possible, elle pouvait intervenir rapidement et constituer un camouflet juridique tout autant que politique pour François Pérol mais plus encore le chef de l'Etat.
 
La manœuvre est peut-être encore plus tordue qu'il n'y paraît. Car, au préalable, le chef de l'Inspection des finances a-t-il effectivement signé un arrêté de mise en disponibilité, avant que le chef de l'Etat ne se ravise et signe un décret entérinant la démission ? En vérité, il est impossible de la savoir. Car si les décrets sont prestement publiés au Journal Officiel, les arrêtés ne le sont souvent qu'avec plusieurs mois de retard.
 
Voici une bonne semaine, Mediapart avait donc cherché à joindre le chef de l'Inspection des finances, mais celui-ci n'avait pas voulu nous parler. Par SMS, un très proche collaborateur de la ministre des finances nous avait toutefois confirmé qu'un arrêté de mise en disponibilité avait été signé par le chef de l'Inspection des finances. Dans cette hypothèse, c'est donc le chef de l'Etat en personne qui se serait prêtait à un subterfuge, en signant son décret, pour mettre son très proche collaborateur à l'abri de poursuites administratives.
Au nom de l'intérêt général ou au nom de son intérêt propre?
 
Mais la manœuvre peut avoir un effet boomerang. Car le décret présidentiel peut apparaître comme un aveu de faiblesse : si le chef de l'Etat est contraint de signer ce décret, c'est que juridiquement il cherche une parade, parce qu'il sait que le dossier, sur le plan judiciaire, est indéfendable. Par ricochet, le décret sera donc utilisé comme un aveu de culpabilité par ceux qui lanceront la seule vraie procédure qui reste possible, celle au plan pénal : une preuve que François Pérol cherche à se mettre à l'abri d'une justice qu'il sait menaçante.
 
En clair, le décret vient nourrir le dossier pénal. Et par surcroît, il ne met pas à l'abri François Pérol des foudres de la Commission de déontologie, si pour finir elle devait être saisie. Pas plus qu'elle ne le met à l'abri d'éventuelles poursuites pénales pour avoir participé à la création de Natixis, pour une rémunération de près de 2 millions d'euros, alors qu'il ne devait pas approcher légalement de ce dossier.
 
Enfin, cette démission de François Pérol fonctionne aussi comme un aveu. En le propulsant à la présidence des deux banques, Nicolas Sarkozy avait trouvé comme prétexte que son protégé agissait, en urgence, pour l'intérêt général. Maintenant que François Pérol a écarté la mise en disponibilité pour démissionner une bonne fois pour toute de la fonction publique pour rejoindre le secteur privé, le prétexte tombe, et la vérité apparaît pour ce qu'elle est : sortant de la fonction publique, François Pérol a définitivement coupé les amarres avec l'intérêt général.

Publié dans Entreprises- Economie

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