Taxe carbone : les exemptions des gros pollueurs étaient restées invisibles

Publié le par desirsdavenirparis5

observatoire le 30/12/2009 par Dan Israel, Arrêt sur images  Même les députés PS ne les avaient pas repérées !

Coup de théâtre le 29 décembre : le Conseil constitutionnel a censuré la taxe carbone, votée dans la loi de finances 2010 et censée entrer en application le 1er janvier. Un coup dur pour le gouvernement, qui ne l'a sans doute pas vu venir. Pas plus que les journalistes. Il faut dire que "les sages de la rue Montpensier" ont justifié leur décision en soulignant qu'une grande partie des entreprises auraient été exemptées de la taxe... ce dont on ne trouvait nul trace dans les médias avant l'annonce d'hier.

Le Conseil l'a écrit en toutes lettres dans sa décision publiée le 29 décembre (points 78 à 83): la taxe carbone constituait à ses yeux une " rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques". Pourquoi ? Parce que n'auraient pas été prises en compte "les émissions des centrales thermiques produisant de l'électricité, les émissions des mille dix-huit sites industriels les plus polluants, tels que les raffineries, cimenteries, cokeries et verreries, les émissions des secteurs de l'industrie chimique utilisant de manière intensive de l'énergie, les émissions des produits destinés à un double usage, les émissions des produits énergétiques utilisés en autoconsommation d'électricité, les émissions du transport aérien et celles du transport public routier de voyageurs"... En clair, "93 % des émissions de dioxyde de carbone d'origine industrielle, hors carburant", auraient été "totalement exonérées".

Les ménages auraient donc dû supporter la majeure partie de l'alourdissement fiscal, les entreprises s'en tirant à bon compte. Depuis que le Conseil constitutionnel a pointé la faille du texte, politiques et journalistes discourent et débattent sur ce thème. Pour les seconds au moins, peut-être est-ce une tentative de rattrapage. Pendant les mois de débats précédant l'inscription de la taxe carbone dans la loi, on a en effet très peu entendu ou lu ces arguments. Pour tout vous avouer, l'équipe d'@si les a découverts en lisant les conclusions du Conseil...

A sa décharge, les JT n'en ont pipé mot. Ni lorsque Michel Rocard a présenté les conclusions de la commission qu'il conduisait sur le thème, fin juillet, ni lorsque Nicolas Sarkozy a tranché pour un coût de "17 euros la tonne de CO2", le 10 septembre. Il est vrai que, durant cet instant décisif pour le texte, mais aussi durant les mois qui l'ont précédé, les débats étaient (légitimement) focalisés sur le coût de la taxe pour les particuliers, ruraux ou citadins.

C'est sur ce point-là qu'avait par exemple insisté France 2 le 10 septembre, avec une interview en plateau de Jean-Louis Borloo et un sujet d'explication...

... qui n'a mentionné les entreprises que pour expliquer qu'elles n'auront "aucune compensation" (et pour cause !)




Les choses ne se sont pas améliorées lorsque la taxe est entrée dans le processus législatif. A notre connaissance, pas de mentions précises dans les JT des exonérations prévues lorsque le texte a été adopté par les députés le 23 octobre. Pas plus lorsqu'il a été validé par les sénateurs, le 8 décembre.

Mais le problème concerne aussi bien la télévision que la presse écrite... Nous avons été bien en peine de trouver un article issu des quotidiens papier dits "de qualité" détaillant les exemptions auxquelles auraient eu droit les entreprises.


Les députés eux-mêmes...

A force de recherche, on trouve péniblement une poignée d'articles mentionnant de façon lapidaire l'exemption dont bénéficient une partie des industries les plus polluantes. Dans le Monde daté du 11 septembre, on lit que la taxe "s'appliquera à tous les consommateurs d'énergies fossiles, ménages comme entreprises, à l'exception notable de celles soumises au système européen d'échanges de quotas de CO2 dont notamment l'électricité". Le même jour, un article du JDD.fr détaille un peu : "Les grandes entreprises de l'industrie (chimie, sidérurgie, cimenteries, mais aussi les services collectifs) sont écartées du dispositif car soumises au système des quotas" d'émission de CO2.

De quoi s'agit-il exactement ? Comme l'explique cet article du site encyclo-ecolo.com, l'Union européenne a mis en place le 1er janvier 2005 un système d'échanges de quotas d'émission de CO2 entre les entreprises : l'Emission Trading Scheme (ETS). Il "prévoit que les États allouent aux entreprises de six secteurs industriels très émetteurs en gaz à effet de serre (production d'énergie, ciment, verre, métaux ferreux, industries minérales, pâtes à papier), des quotas d'émissions. Un plafond d'émission est en effet fixé pour chaque entreprise dans un plan national d'allocation fixé par les Etats membres et approuvé la Commission européenne". L'idée est d'obliger les entreprises à diminuer leurs émissions de gaz, en réduisant petit à petit les quotas. Celles qui ne les consomment pas tous peuvent vendre du "droit à polluer" à des entreprises ayant dépassé leurs quotas.

C'est pour que ces entreprises ne soient pas soumises à une double contrainte que la taxe carbone n'aurait pas dû les concerner. Mais le Conseil constitutionnel a rejeté cet argument, en relevant que "ces quotas sont actuellement attribués à titre gratuit et que le régime des quotas payants n'entrera en vigueur qu'en 2013 et ce, progressivement jusqu'en 2027".

Faute d'information précise sur le sujet, ces subtilités auront paru totalement étrangères à l'immense majorité des Français. Pas plus informés d'ailleurs sur l'exemption accordée au transport routier et aérien, qu'évoque la décision du Conseil Constitutionnel. Et quand ont parle de la majorité des Français, on parle aussi... des députés.

On notera en effet avec intérêt que lorsque les députés socialistes ont saisi le Conseil sur le projet de loi de finances 2010, le 22 décembre, ils n'avaient pas pensé à utiliser les arguments avancés par les Sages. Comme le montre le document qu'ils ont adressé au Conseil, dont le PDF accessible à partir de ce lien, les socialistes jugeaient bien que la taxe constituait "une rupture caractérisée du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques". Mais pas du tout parce que les entreprises en étaient largement exemptées. Leur argumentaire reposait uniquement sur le fait qu'il était prévu que la compensation financière prévue soit reversée à chaque foyer fiscal de façon forfaitaire, "sans considération de la capacité contributrice ni de la consommation d'énergie en fonction du revenu des ménages".

Publié dans Ecologie-Environnement

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