La survie du PS ne doit pas empêcher la naissance d'une gauche moderne

Publié le par desirsdavenirparis5

La défaite électorale du Parti socialiste aux élections européennes du 7 juin n'est pas une défaite comme les autres. Elle marque l'aboutissement d'un long processus d'affaissement rendant sa survie incertaine. Certes, le risque d'une mort subite est très faible. Mais cela ne rendra paradoxalement l'agonie que plus cruelle.

 
En la matière, le PS n'est d'ailleurs pas dépourvu de références. Celle de la SFIO, qui mit quinze ans à disparaître comme force politique nationale tout en continuant à prospérer dans ses fiefs locaux. Celle ensuite du Parti communiste, dont chaque défaite conduisait son appareil soit à la nier soit à l'expliquer par un assoupissement idéologique dont il fallait prendre congé.

Le PS conjugue aujourd'hui cette double dynamique. D'un côté, une balkanisation qui conduira les barons locaux à s'émanciper encore bien davantage de Solférino quitte à conclure à la faveur des prochaines élections régionales des alliances à géométrie variables qui ne simplifieront pas la lisibilité politique du PS ou qui l'isoleront si les Verts et le MoDem font localement alliance.

De l'autre, une logique de bunkérisation baptisée rénovation et qui ne vise en réalité qu'à garantir la survie d'un appareil aux abois. Car nous le savons. Si le Parti socialiste décidait de s'interroger sérieusement sur les causes profondes de son recul, il ne pourrait que conclure à la faillite de sa stratégie et à l'impéritie de ses dirigeants. Comment donc ce "grand parti d'alternance" en est-il arrivé là ?

Tout depuis vingt ans aurait dû logiquement conduire au renforcement du Parti socialiste. Or c'est exactement l'inverse qui se produisit. Le premier événement fut la chute du mur de Berlin en 1989. A priori, ce bouleversement aurait dû logiquement profiter au socialisme démocratique que le Parti socialiste incarnait face à un Parti communiste déchu. Mais il découvrit qu'abandonner le marxisme c'était abandonner aussi une partie de l'histoire du PS. Il se rendit aussi compte que prendre le contre-pied du marxisme l'exposait à perdre la seule balise idéologique dont il disposait.

Pour survivre, le PS choisit donc de se réapproprier toute la rhétorique du Parti communiste avec tout le manichéisme qui en découlait : diabolisation sans nuance de la droite, préalable de l'augmentation des moyens à toute réforme, disparition de toute critique de l'Etat, réduction de l'action politique au volontarisme de ce même Etat, refus de voir que la gauche pouvait devenir un parti conservateur défendant avant tout les salariés protégés et négligeant par là même ceux qui souffrent des fortes barrières à l'entrée sur le marché du travail. Aussi incroyable que cela puisse paraître, on peut donc dire que la chute du mur de Berlin a en réalité remarxisé l'idéologie du Parti socialiste. Ce paradoxe n'a toutefois été rendu possible que par la nature de ce parti, un parti intellectuel sans véritable base ouvrière populaire et qui a de ce fait toujours compensé ce péché originel par un maximalisme idéologique.

Puis vint le temps de ce qu'on appelle la mondialisation. Là encore le Parti socialiste se trouve à contretemps. Au moment où il se fait le chantre d'un compromis social-démocrate entre le capital et le travail à l'échelle nationale comme pour mieux acter son réformisme, il se trouve confronté à une situation mondiale où ce compromis précisément n'a plus de sens à l'échelle nationale... Du coup il se réfugie dans une position purement défensive, celle de la mondialisation dans un seul pays. Faute d'analyse propre, il se met à la remorque d'Attac.

La gauche revendique fort et clair son alliance avec l'altermondialisme en se croyant de nouveau du côté de l'histoire. L'important était de trouver dans ce combat les ressources idéologiques pour se reconstruire face à une droite qui pour son malheur était d'ailleurs aussi peu libérale qu'elle. Tout ceci dura jusqu'au débat sur la Constitution européenne de 2005 où une partie de la gauche découvrit alors la face sombre de l'altermondialisme français : un souverainisme marxiste dont le moteur idéologique était d'ailleurs moins la lutte contre le capitalisme que son rejet du réformisme. De fait le référendum de 2005 divisa le Parti socialiste et accentua son affaiblissement.

Mais de cette situation il ne tira aucune conclusion. Le Parti socialiste s'éloigna discrètement d'Attac tout en continuant à développer une rhétorique de dénonciation abstraite du libéralisme mondialisé. Survint enfin la crise financière de 2008, une crise dont l'ampleur et la gravité surprirent tout le monde. Dans cette crise dont certains dirent un peu rapidement qu'elle allait marquer la fin du capitalisme, le Parti socialiste y vit un véritable don du ciel, une divine surprise, celle qui vous donne la grâce que vous n'attendiez plus.

Comment ne pas y voir la preuve irréfragable de la résurrection. Pouvoir dénoncer dans un même élan le libéralisme sauvage qui aurait fait faillite et son épigone national Nicolas Sarkozy. Que demander de plus ? Le PS n'aurait eu donc pour seul tort que d'avoir eu raison trop tôt. Mais si la crise financière permit au Parti socialiste de rebrancher son pilotage idéologique automatique, elle ne l'aida nullement à regagner le terrain politique qu'il n'avait cessé de perdre. Car non seulement il était totalement incapable de promouvoir la moindre proposition, mais il s'obstinait à dénoncer l'ultralibéralisme d'un président de droite mais certainement pas ultralibéral. Mais un tel distinguo est précisément pour le Parti socialiste impensable. Impensable au sens propre comme au figuré. Au sens propre parce que la droite ne peut être pour elle que libérale puisque la gauche est antilibérale.

Au sens figuré ensuite, car cela l'oblige à sortir d'un manichéisme qui la déboussolerait. Pourtant le recul des sociaux-démocrates allemands montre qu'il ne suffit pas pour un parti de gauche d'en appeler au réengagement de l'Etat pour retrouver des électeurs. Bien au contraire ceux-ci se sont sentis trahis par un parti volant au secours des "gros" comme Opel. Ainsi la gauche se trouve enfermée dans une situation où elle ne peut critiquer que les réformes dites libérales du gouvernement alors que nous savons que certaines d'entre elles en sont véritablement la négation (réforme de l'hôpital).

En revanche, elle ne peut par conformisme idéologique critiquer des réformes destinées à stimuler la compétition, mais que le gouvernement n'a pas poussées assez loin sous la pression de certains intérêts (la loi de modernisation économique). De tout cela se dégage une conclusion simple : l'enjeu n'est plus de savoir comment sauver le PS mais de faire en sorte que sa survie ne contrarie pas l'émergence d'une gauche moderne et forte.

Zaki Laïdi est directeur de recherche à Sciences Po. Coauteur avec Gérard Grunberg de "Sortir du pessimisme social" (Hachette "Littératures", 2007).

Article paru dans l'édition du 08.07.09
par Zaki Laïdi
LE MONDE | 07.07.09

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