Bolkestein, vous connaissez ?

Publié le par desirsdavenirparis5

Faisons un jeu : combien de députés, sur les 785 élus du Parlement européen, êtes-vous capable de citer ? De combien connaissez-vous le visage ? L'ingratitude fait qu'on oubliera les plus assidus dans les commissions. On citera les plus paresseux et les plus absents, sous prétexte qu'ils ont un nom sur la scène nationale. On retiendra les tribuns de l'hémicycle, le vert combattant franco-allemand Dany Cohn-Bendit, que l'on vit au bord des larmes pour défendre les prisonniers chinois, l'élégant libéral britannique Graham Watson, qui a su charmer Nicolas Sarkozy en citant les chansons de Carla Bruni, ou, dans le genre fort en gueule, le social-démocrate allemand Martin Schulz.
Le pouvoir est pourtant ici, dans les fourneaux du Parlement. Prenez Evelyne Gebhardt : une social-démocrate allemande dont le nom ne vous dit rien. Une dame élégante et discrète, rien d'une pasionaria, juste une eurodéputée qui prend son travail au sérieux.

Un jour de janvier 2004 arrive sur sa table une proposition de directive de la Commission européenne. Le dossier, assure-t-on, "est purement technique, pas politique". C'est amusant : la "directive Bolkestein", dite "du plombier polonais", deviendra cette affaire politique tonitruante qui, efficacement utilisée par les eurosceptiques, provoquera le non français au référendum de 2005 sur le traité constitutionnel, avec lequel elle n'avait pourtant rien à voir.

Cette "directive services" libéralise le marché des prestations de service au sein de l'UE. Pour Evelyne Gebhardt, elle offre l'avantage d'une plus grande ouverture. Et un danger : la mise en concurrence des systèmes sociaux. Elle propose des amendements qui excluent de la directive les services d'intérêt général et empêchent le dumping social au sein de l'Union européenne. Se battre vaut la peine : les dossiers relevant du marché intérieur s'élaborent en "codécision" par le Parlement et le Conseil.

Le plus dur est de dégager une majorité en plénière. Il lui faudra trois ans pour y parvenir. Son rapport déplaît à la Commission, à la majorité des Etats au Conseil, à la majorité du Parlement. Elle s'appuie sur les syndicats, sur des représentants de consommateurs, convainc une partie de la droite. Elle politise le débat, entre "libéraux" et "sociaux". "C'est la première fois qu'une affaire européenne arrive sur la place publique avant la décision", dit-elle.

Evelyne Gebhardt a gagné. Le plombier polonais peut venir en France ou en Allemagne, mais en respectant le droit du travail français ou allemand. Une victime collatérale a succombé dans la bataille : le traité constitutionnel. "J'en étais désolée. La directive était proposée sur la base des traités existants, mais les nonistes ont fabriqué l'amalgame."

Morale de l'histoire : le Parlement européen est un vrai législateur qui peut l'emporter sur la Commission et le Conseil. Si le traité de Lisbonne est adopté, son pouvoir sera accru. Alors, aux urnes, citoyens !

Courriel : mvr@lemonde.fr.

Marion Van Renterghem
Article paru dans l'édition du 08.05.09, Le Monde

Publié dans Europe

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