Evitons les pièges du congé parental, par Dominique Méda et Jeanne Fagnani

Publié le par desirsdavenirparis5


LE MONDE | 04.03.09

Le président de la République vient de faire une série de propositions sur la politique familiale. Il a notamment proposé de raccourcir le congé parental et, plus précisément, la durée du versement de l'allocation compensant l'arrêt d'activité lié à la naissance d'un enfant. Cette proposition rejoint les revendications formulées depuis longtemps par des chercheurs(e)s spécialisé(e)s et des féministes. Mais elle ne semble pas pouvoir être mise en oeuvre selon le processus proposé.

 
Toutes les études montrent qu'en France ce que l'on appelle le congé parental - en fait le versement d'une allocation condition par l'arrêt ou à la diminution d'activité - est défavorable à l'activité féminine, et plus encore à celle des femmes peu diplômées ou exposées au risque de la précarité dans l'emploi. Long, rémunéré faiblement et de façon forfaitaire, ce dispositif incite en effet les femmes dont les salaires sont peu élevés et l'emploi peu gratifiant à se retirer du marché du travail. D'une part parce qu'il est "plus intéressant" (si cette expression a un sens !) pour elles de rester à la maison pour garder leur enfant plutôt que de payer une assistante maternelle ou une crèche et de faire face à tous les frais engendrés par le fait de travailler. D'autre part aussi parce que leurs conditions de travail sont le plus souvent incompatibles avec leurs contraintes familiales.

Une enquête réalisée auprès d'un échantillon de 1 000 femmes s'étant arrêtées de travailler à la naissance d'un enfant a ainsi mis en évidence que plus de la moitié d'entre elles auraient souhaité continuer à travailler mais que presque autant étaient soumises à des horaires atypiques, inconciliables avec les rythmes de la vie familiale.

Rester à la maison pour s'occuper de son enfant est certes un plaisir mais aussi une obligation, tant les conditions de travail sont mal adaptées aux contraintes de la vie familiale. Dès lors, le congé parental, pris à 98 % par les mères, devient un cadeau empoisonné qui incite celles-ci à rompre les liens avec l'entreprise et, pour la moitié d'entre elles, à ne pouvoir revenir sur le marché du travail que sur des postes moins bien payés et-ou avec des conditions de travail dégradées par rapport à la situation antérieure à la naissance.

Comme l'a confirmé la dernière enquête de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) sur le sujet, ce sont les femmes aux revenus les plus modestes qui restent à la maison pour garder leurs enfants à l'aide de cette allocation et qui se retrouvent donc privées de l'indépendance à laquelle l'emploi donne accès.

Oui, il est donc souhaitable de réduire la durée d'indemnisation du congé et de rendre l'allocation proportionnelle au salaire (à l'instar des pays nordiques) pour éviter de n'inciter que les femmes les plus modestes à se retirer du marché du travail. Faut-il pour autant en faire la mesure phare d'une réforme de la politique familiale ? Non !

La démarche qui consiste à raccourcir le congé avant la mise en oeuvre d'autres mesures de soutien ou d'accompagnement fait, en effet, furieusement penser à ce qui s'est passé dans notre pays au nom de la "flexicurité" : les dispositifs visant à flexibiliser le marché du travail ont été développés avant que les mesures promises en termes de sécurisation soient mises en place. Raccourcir la durée de versement des aides sans développer les modes de garde revient en quelque sorte à obliger les personnes à rejoindre le marché du travail et à accepter un emploi - y compris un emploi de mauvaise qualité, avec un très faible nombre d'heures.

Cela aboutit - comme lorsqu'on recule l'âge de la retraite à taux plein sans améliorer les conditions de travail ou qu'on exige des bénéficiaires de minima sociaux de rechercher un emploi sans prendre en considération les contraintes objectives qui les en empêchent - à "inciter" les personnes concernées à prendre n'importe quel emploi, à n'importe quelle condition, sous peine de tomber dans la pauvreté. Cela permet aussi de faire des économies... Sommes-nous si loin du workfare anglo-saxon ?

Un autre scénario est possible. Il consisterait à mettre en oeuvre la promesse solennelle, lancée pendant la campagne présidentielle, d'un droit de garde opposable. Cela supposerait le développement d'un service public de la petite enfance et la programmation puis la mise en chantier de 400 000 places d'accueil sur cinq ans, gisement de bons emplois non délocalisables, élément-clé d'un plan de relance écologiquement durable axé sur la qualité de l'emploi et les besoins sociaux non satisfaits.

C'est alors seulement que le congé parental pourrait être profondément réformé : plus court, rémunéré proportionnellement au salaire antérieur et surtout totalement partagé entre le père et la mère - ce qui constitue la seule manière d'impliquer vraiment les hommes dans la vie familiale et de permettre donc aux femmes de s'investir pleinement dans la vie professionnelle. Il faudrait enfin remettre en chantier la question de l'articulation des temps permettant aux hommes et aux femmes de mener vraiment de front vie professionnelle et vie familiale.

Ces propositions ont été détaillées et chiffrées dans Le Deuxième Age de l'émancipation (Seuil, "La République des idées", 2007) : donner à tous les enfants de moins de 3 ans une place dans un mode d'accueil de qualité ou la possibilité d'être gardé par le père ou la mère grâce à un congé parental de 42 semaines entièrement partagé (la moitié non prise par l'autre parent étant perdue) conduirait à faire passer les sommes consacrées à l'accueil des jeunes enfants de 1,32 % à 1,65 % du PIB... alors qu'elles représentent 2,7 % du PIB au Danemark.

Oui, nous savons ce qu'il faut faire. Mais tout se passe décidément comme si les bonnes idées venues du Nord ne pouvaient être transposées dans notre pays que d'une manière parcellaire et sans vision d'ensemble, alors que ces politiques n'ont de véritable portée que si elles sont menées de façon cohérente et globale.

Dominique Méda est sociologue du travail ;


Jeanne Fagnani est sociologue de la famille.

Publié dans Enfants-Jeunes-Vieux-

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