Rien de rien. François Fillon ne cède rien
Par Gérard Desportes
Mediapart.fr
Ce fut franc et expéditif. Jeudi 19 mars, après une journée de forte mobilisation dans les rues des grandes villes françaises pour réclamer la protection de l'emploi et une hausse du pouvoir d'achat, François Fillon n'a rien lâché. Rien. Un premier ministre sûr de son fait est apparu à l'écran de TF1, interviewé par Laurence Ferrari, peu après 20 heures. Il est resté inflexible, un brin condescendant, pas même pédagogique.
Un nouveau plan de relance? «Certainement pas. (...) Nous avons pris des mesures, il faut en attendre les effets.»
Une augmentation du Smic ou l'obtention d'une prime comme aux Antilles? «Le gouvernement n'est pas fermé, mais il a le devoir d'être responsable. Il faut que les Français sachent que nous avons déjà doublé le déficit budgétaire. Aller au-delà empêcherait la reprise fin 2009-2010.»
Retoucher le bouclier fiscal qui favorise les plus riches? «Six millions de ménages parmi les plus modestes ne paieront pratiquement pas d'impôts en 2009. (...) Il faut savoir que le niveau fiscal français est le plus élevé dans le monde. La justice joue dans les deux sens.»
Une limitation des salaires des grands patrons? «Nous attendons des propositions du Medef (...) Si, au 31 mars, nous n'avons rien, nous légiférerons.»
En un quart d'heure, l'affaire était expédiée.
A peine s'est-il agi de «l'inquiétude légitime» des manifestants qui avaient battu le pavé toute la journée en nombre supérieur à la précédente journée de mobilisation. Et encore pour en relativiser le nombre et la signification dans un ensemble mondial, cette crise qui frappe partout et, selon François Fillon, parfois plus durement ailleurs que dans l'Hexagone.
Tandis que Nicolas Sarkozy ou Xavier Bertrand, le nouveau patron de l'UMP, étaient à Bruxelles pour participer, le premier au conseil européen, le second à une réunion du parti populaire européen, le premier ministre avait préféré rester à Paris pour préparer son intervention sur TF1 et garder les clés de la maison.
Le matin sur LCI, Alain Juppé, l'ancien premier ministre de Jacques Chirac, avait préparé l'émission en se permettant un conseil: «Il y a une vraie angoisse dans l'opinion publique», parmi «les salariés. Cela mérite écoute et considération», mais «je suis persuadé que le premier ministre sera dans cet état d'esprit.» Raté.
Estimant devant les bancs de l'Assemblée nationale, l'après-midi, que «la situation de 2009 n'était pas celle de 2007», René Couanau (UMP, Ille-et-Vilaine) avait appelé ses collègues à «donner un signal fort à l'opinion».
«L'intelligence, c'est l'adaptation», avait ajouté l'élu en invitant ses collègues de l'UMP à regarder «lucidement» la situation en temps de crise. Encore raté.
C'est un premier ministre bloqué qui est apparu à la télévision. L'ampleur des cortèges (plus de deux millions de manifestants), pas davantage que les mouvements d'humeur qui secouent les rangs de la majorité ne semblant le faire changer de cap, François Fillon a préféré assumer sa politique plutôt que de paraître saisi par le doute. De son côté, Nicolas Sarkozy a indirectement répondu aux manifestants en participant au Conseil européen de Bruxelles qui s'achève ce vendredi.
Le «non» des gouvernements européens
Car les demandes des syndicats français, n'en déplaise à Laurence Parisot qui ne voit que « démagogie » dans cette journée, sont aussi celles de tous les grands syndicats européens. Le Conseil européen, qui doit s'achever vendredi, devrait pourtant écarter toute idée de nouveaux plans de relance. Il sera sans doute décidé de lancer un programme européen de 5 milliards d'euros pour de grandes infrastructures. Mais rien de plus.
«Nous avons besoin d'urgence d'une initiative politique européenne afin d'apporter une réponse européenne à l'effondrement de l'emploi et de l'activité économique», a expliqué jeudi John Monks, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES), qui regroupe 82 organisations syndicales. Mais chaque gouvernement entend s'en tenir à des plans de relance nationaux, refusant l'idée d'une vaste relance coordonnée au niveau européen.
En cela, les gouvernements, et le pouvoir français, ne disent pas seulement « non » aux syndicats européens. C'est aussi un refus clair des propositions de l'administration américaine et du FMI de faire beaucoup plus pour réveiller l'économie mondiale. La semaine dernière, Barack Obama assurait qu'une partie des problèmes de l'Amérique vient désormais « des faiblesses et des difficultés de l'Europe, ce qui a un impact sur nos marchés ».
Paul Krugman, prix Nobel d'économie, consacre sa chronique de la semaine dans le New-York Times à expliquer son « inquiétude » concernant l'Europe. « L'Europe échoue à répondre avec efficacité à la crise financière », écrit-il. Et de dénoncer le manque de coordination européenne et le manque d'ambitions des gouvernements.