La parade verte de Ségolène Royal

Publié le par desirsdavenirparis5

Pour Ségolène Royal, la mutation verte sans augmentation de la fiscalité est possible à condition de redéployer les dépenses
 

Face à ceux qui l'accusent de tout sacrifier à un opportuniste positionnement écolo, la présidente socialiste affiche plus que jamais sa foi nouvelle dans les vertus économiques du développement durable.
Ségolène Royal répond à L'Expansion

"La politique industrielle doit passer par le prisme écologique"

Ce vendredi 5 février, un sentiment de fin de partie flotte sur l'hôtel de région, lové dans le coeur historique de Poitiers. Comme une sorte d'excitation mélancolique typique des derniers jours de classe, avant les examens du mois de juin. Dans la vaste chapelle du XVIIIe siècle transformée en siège de l'assemblée, les élus régionaux se réunissent pour la dernière fois avant le grand test des élections. A l'ordre du jour : le bilan de l'action du conseil régional. En clair, celui de Ségolène Royal.

Pour l'occasion, les rares détracteurs de l'icône socialiste du Poitou ont peaufiné leurs discours. L'UMP Henri de Richemont, un avocat d'affaires parisien et maire d'Etagnac, une petite commune de la Charente, multiplie les effets de manches pour dénoncer un bilan désastreux, tandis qu'un élu frontiste transforme en confettis un Pass contraception, cadeau d'une élue socialiste facétieuse. Dans cette ambiance potache, Ségolène Royal rayonne, distribuant la parole comme les bons points et détaillant soigneusement les différents axes de sa politique. Fini les envolées lyriques de la démocratie participative, il n'est question que de croissance verte, d'excellence environnementale et d'efficacité énergétique. En six ans, Ségolène Royal s'est métamorphosée en Louise Michel de la révolution verte. Une conversion écolo qui touche les questions de développement économique aussi bien que celles d'éducation, de formation ou de tourisme, et qu'elle rêve de transposer à la France entière. Mais quel bilan se cache vraiment derrière les slogans ?

"Sans l'appel à projets de la région sur la voiture électrique, nous aurions déjà disparu." Eric Linares, d'Eco & Mobilité, constructeur de véhicules électriques.

Non loin de l'hôtel de région, dans le local de campagne glacial d'Europe Ecologie, les élus se montrent très prudents sur l'affichage de la leader socialiste. "La région est nettement en retard en matière d'énergies renouvelables, avec un développement trop lent de l'éolien et du photovoltaïque, et une sous-exploitation totale des énergies marines", dénonce Françoise Coutant, la tête d'affiche des Verts en Poitou-Charentes. Chiffres à l'appui, cette jeune professeur de sciences de la vie et de la terre affirme que 9 % de l'énergie consommée dans la région proviennent de sources renouvelables, contre 12,5 % en moyenne en France, et que le Poitou-Charentes n'arrive qu'en septième position pour le photovoltaïque. Quant aux surfaces dédiées à l'agriculture biologique, elles sont deux fois moins étendues que dans les Pays de la Loire ou qu'en Midi-Pyrénées. Dure réalité, pour une région qui ambitionne d'être le premier territoire français à "zéro pesticide". "Il faut clairement accélérer le mouvement, passer des promesses aux actes", tance Marie Legrand, une élue sortante d'Europe Ecologie. Une phrase qui sonne comme une menace en vue des négociations pour le second tour.

"Nous sommes en décalage par rapport au calendrier électoral. Les programmes que nous avons lancés vont porter leurs fruits dans les cinq années à venir", se défend Jean-François Macaire, le vice-président de la région chargé de l'économie et de l'emploi. Un exemple : le vaste plan solaire 2009-2012, présenté il y a un an, et qui porte sur 400 millions d'euros d'investisse-ments. D'ici deux ans, 650 000 mètres carrés de panneaux photovoltaïques devraient être installés, ce qui placerait effectivement le Poitou-Charentes en tête des régions françaises en la matière. En l'espace de neuf mois, près de 200 millions d'euros auraient déjà été débloqués. Sauf que la région n'a pas déboursé un sou. C'est la Banque européenne d'investissement et le Crédit agricole qui financent conjointement le programme, le conseil régional se bornant à se porter caution en garantissant 25 % des montants octroyés. Un astucieux montage financier doublé d'une belle opération de communication.
Point fort - Une dette stabilisée sans recours à l'impôt

Une gestion de mère de famille : Ségolène Royal n'a pas succombé aux sirènes de la dette. Il faut dire qu'en la matière, son prédécesseur, Jean-Pierre Raffarin, avait eu la main lourde. Entre 2002 et 2004, l'encours des emprunts de la région Poitou-Charentes a été multiplié par presque 2,5. Sous la présidence de Ségolène Royal, l'endettement n'a progressé que de 16 %. Surtout, la dette par habitant est restée stable depuis 2006, à près de 165 euros par tête. Une performance, puisque la pression fiscale n'a pas augmenté depuis 2005.

Qu'importe d'où vient l'argent pourvu que la machine soit lancée", assure Jean-Luc Fulachier, le directeur général des services, l'un des hommes clefs du dispositif de Ségolène Royal. Ce dossier illustre parfaitement la stratégie de cette dernière pour la croissance verte. Aux yeux de sa présidente, le conseil régional n'est pas seulement un organe de financement. Son but est d'impulser, d'accompagner et de diriger afin de faire émerger une vraie filière industrielle. Sur le véhicule électrique, la maison écologique, les écoprocédés ou le photovoltaïque industriel, la région a ainsi lancé au cours des quatre dernières années une série d'appels à projets destinés aux entreprises locales. Avec des objectifs très précis, comme la maison à basse consommation à moins de 80 000 euros. En contrepartie, elle s'engage à soutenir l'innovation et l'amorçage des projets industriels, à doper la demande par un système de subventions ou plus simplement en passant commande elle-même. La méthode a porté ses fruits : une vingtaine de projets de maisons vertes ont vu le jour.

Quant au dossier de la voiture électrique, il a permis de sauver - momentanément - le constructeur Heuliez ainsi qu'une poignée de sous-traitants qui se sont lancés dans l'aventure. "Sans cet appel à projets, nous aurions déjà disparu", confirme Eric Linares, le président d'Eco & Mobilité, un petit constructeur de véhicules électriques. En deux ans, cette PME d'une soixantaine de salariés a développé la SimpliCity, un "pot de yaourt" sur quatre roues. Dans le sillage du conseil régional, des collectivités locales ont déjà passé commande de quelques SimpliCity, tandis qu'une grande enseigne de supermarchés parisiens prévoit d'acheter une flotte d'un millier de véhicules pour effectuer ses livraisons.
Point faible - Une inflation du nombre d'employés régionaux

+ 72 %

Ségolène Royal aime être entourée. En six ans, les frais de personnel de la région Poitou-Charentes ont explosé : ils représentaient près de 56 euros par habitant en 2009, contre 43 euros en moyenne dans les autres régions. Si l'on exclut les embauches liées à la décentralisation, les effectifs ont progressé de 72 % entre 2004 et 2009 ! La présidente a recruté 52 personnes pour la seule mise en oeuvre de sa politique. Du coup, d'après les calculs de l'Ifrap, un institut de recherche sur les politiques publiques, le taux d'encadrement de la région serait supérieur à celui de la Guadeloupe.

Mais l'activisme écologique de la reine du Poitou tombe parfois dans la démagogie sirupeuse. Comme ce fameux 5 février, lorsque les élus découvrent avec stupeur que la région souhaite racheter les locaux désaffectés de New Fabris, un sous-traitant automobile qui a fait faillite au printemps dernier, à Châtellerault. L'objectif : créer une "fabrique écologique", un concept flou, mélange de pépinière d'entreprises et de centre de formation. Reste que les 27 000 mètres carrés de bâtiments sont dans un état catastrophique. "Il faut dépolluer et désamianter tout le site", confie un ancien délégué syndical CGT de New Fabris. Or le coût de l'opération est inconnu. Face au brouillard financier qui entoure le projet, les élus verts s'abstiennent finalement lors du vote, rejoignant les rangs de l'UMP. Qu'importe ! Ségolène Royal remercie "les élus socialistes pour leur engagement et leur courage, au nom des salariés de New Fabris et de leurs familles". "Ce trop-plein de démagogie brouille les débats et empêche de se poser les vraies questions industrielles, comme sur Heuliez", accuse Xavier Argenton, le maire UMP de Parthenay. Ne perdant jamais une occasion d'égratigner son ancienne rivale, Jean-Pierre Raffarin enfonce le clou : "Ségolène Royal est en train de sacrifier tout un tissu de PME sur l'autel de la croissance verte. Avant que le solaire ne remplace l'élevage, beaucoup d'années se seront écoulées."

Plus sérieusement, les détracteurs de la présidente de la région dénoncent le saupoudrage budgétaire et, du coup, le manque d'engagement du conseil régional sur ses missions premières. Certes, en matière de transport, près des trois quarts des rames de TER ont été remplacées. Mais la région Poitou-Charentes est celle qui a dépensé le moins pour le transport ferroviaire en 2009 : à peine 32 euros par habitant, deux fois moins que la moyenne nationale (hors Ile-de-France). "Surtout, elle a fait des choix contestables, préférant du matériel Bombardier au détriment d'Alstom, un fabricant pourtant installé à La Rochelle. Quand on affirme vouloir soutenir les entreprises locales...", raille Dominique Bussereau, le secrétaire d'Etat aux Transports, tête de liste de l'UMP dans la région.

Quant aux subventions aux lycées, elles ont diminué de près de 30 % en moyenne depuis deux ans. Motif invoqué : les trésors de guerre de certains établissements. "Ils atteignaient près de 24 millions d'euros à la fin 2008, presque une année de subventions. Les lycées n'ont pas vocation à se constituer des bas de laine", accuse Jean-Luc Fulachier. Résultat : la moitié des lycées de Poitou-Charentes n'ont pas voté leur budget début 2010. Sauf bien sûr le fameux lycée Kyoto, ouvert à l'automne dernier et labélisée "zéro énergie fossile". Un des symboles de l'excellence environnementale chère à la nouvelle pasionaria écologiste.


Béatrice Mathieu -  01/03/2010

Publié dans Poitou-Charentes

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