Impôts: Sarkozy se coupe des classes moyennes

Publié le par desirsdavenirparis5

La question fiscale - qui devrait occuper une place centrale dans la campagne de 2012 - s'annonce compliquée pour le très probable candidat à sa propre succession. Pour Roland Hureaux, il sera difficile de convaincre les classes moyennes, qui s'estiment lésées par une politique fiscale surtout favorable aux couches les plus aisées.
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Comment ne pas s’étonner que le président de la République, qui passe pour un grand stratège, mette en chantier dans une année pré-électorale, un sujet aussi périlleux que la réforme fiscale ?
Sans doute, ne sait-il pas que la difficulté de réformer les contributions fut à l’origine directe de la Révolution française ?

On peut sommairement diviser la population française, et même l’ensemble des sociétés occidentales aujourd’hui, en trois segments :

- au sommet de l’échelle, le 1% de revenus très élevés, qui ont le plus souvent aussi la plus grande fortune ; peut-être faudrait-il même réduire ce pourcentage à 0,5 %;
- au bas de l’échelle, entre 10 et 15 % d’ « exclus » vivant d’aides sociales (RSA, CMU, Minimum vieillesse, allocations de chômage, AAH etc.) et une frange de travailleurs à temps partiel;
- entre les deux, une vaste « classe moyenne » qui va du pharmacien et du patron de PME à ce qu’on appelait autrefois la classe ouvrière : travailleurs au SMIC ou un peu au-dessus du SMIC;
 
Cette catégorie centrale n’est assurément pas entièrement homogène (il y a assurément une grande distance entre les commerçants les plus prospères et les ouvriers ou employés les plus modestes).
Mais elle se définit par le fait qu’elle gagne sa vie en travaillant : le petit patron a beau avoir un capital, il est d’abord un travailleur, et par le fait qu'elle paye des impôts et qu’elle a même le sentiment de porter le poids de l’essentiel de la charge fiscale, alors que les deux autres catégories, dans des registres évidemment très différents, ne vivent pas d’abord de leur travail.

Même si les dirigeants de grands groupes, les sportifs et les artistes, les traders les plus doués, qui appartiennent au premier groupe,  travaillent, leurs revenus sont hors de proportion avec le travail qu’ils fournissent. Ils payent sans doute  beaucoup d’impôts mais, bien conseillés et quelquefois « délocalisés », il s’en faut de beaucoup qu’ils subissent comme les classes moyennes supérieures le choc de la progressivité. Le cas de l’héritière Bettencourt imposée à 22 % de son revenu est significatif. Quant au troisième groupe, il ne travaille pas non plus, volontairement ou pas, et se trouve exonéré de la plupart des impôts directs.
   
Le candidat Sarkozy a fait d’abord campagne auprès du groupe central, « ceux qui se lèvent tôt » ; en répétant à satiété qu’il fallait « travailler plus pour gagner plus », il épousait entièrement les valeurs de ce groupe : fierté du travail, hostilité à l’impôt, et à des degrés variables, hostilité aux abus de l’Etat providence, cela avec des nuances : l’hostilité au « tout-social » va croissante à mesure qu’on descend vers le bas de l’échelle ; elle atteint son maximum chez les « travailleurs pauvres » qui constatent presque tous qu’une situation d’assistance bien gérée rapporte autant ou plus que ce qu’ils gagnent en travaillant. Le milieu et le haut de la classe moyenne a moins ce souci, d’abord parce que sa situation est plus confortable et que la vie quotidienne ne lui offre pas tant d’occasions de faire de comparaisons.
 
L’hostilité des classes moyennes à la première strate, qui devrait être grande, est largement amortie par la discrétion de celle-ci : les vrais riches, souvent très âgés, ne font en général pas de bruit. Cette hostilité ne s‘éveille qu’à l’annonce des salaires et des bonus des grandes banques et de leurs traders ou des cachets des joueurs de football. Si le bas de la classe moyenne, la classe ouvrière ou paysanne, en veut surtout aux assistés, le haut de la classe moyenne en veut à l’Etat. Plus le système fiscal est lourd, plus ses chances d’atteindre le haut de l’échelle, de rejoindre la vraie fortune, sont faibles. Comme dans le Bas-Empire romain, la lourdeur de la fiscalité rigidifie les classes sociales, ralentit la mobilité sociale ascendante (réservée à quelques grands fauves des affaires ou vedettes de la chanson au destin exceptionnel), ce qui ne va pas sans frustrations dans toute une partie de la classe moyenne.
 
Bien qu’il ait fait surtout campagne auprès du groupe central, Nicolas Sarkozy a, on le sait, fait essentiellement la politique du premier groupe, celui des très riches – et à la marge du troisième. Non seulement, il n’a pas répondu à la frustration des classes moyennes, mais il a aggravé leur situation. Elles se sentent de plus en plus imposées alors que la classe supérieure mondialisée l’est de moins en moins,  et que la classe inférieure continue de vivre de la solidarité nationale, et donc à ses dépens.

Les réformes emblématiques du début du quinquennat: abaissement du bouclier fiscal, allègement de l’ISF bénéficient principalement au premier groupe. En revanche, l’évolution des tranches de l’impôt sur le revenu, l’extension quasi-universelle de la CSG et d’autres mesures analogues donnent à toute une partie des classes moyennes et même à une partie des travailleurs modestes, le sentiment de payer plus d’impôts depuis 2007.

Emblématique fut l’institution du RSA qui s’est traduite par un transfert d’1,5 milliard supplémentaire en faveur des exclus – transfert d’une utilité douteuse selon un économiste de gauche comme Michel Godet –, entièrement mis à la charge de catégories moyennes et moyennes inférieures par l’alourdissement de la fiscalité de l’épargne, les plus riches se trouvant exonérés de cette solidarité grâce au bouclier fiscal.  
L’évolution fiscale renforce ainsi celle de revenus primaires qui, dans tous les pays, a vu les 1% les plus riches progresser d’environ 30 % au cours de la décennie 2000-2010, tandis que le revenu des 99% autres, singulièrement des classes moyennes, stagnait ou régressait. Ce mouvement, exacerbé aux Etats-Unis – au bénéfice non point des 1 % mais des 0,1 % les plus fortunés, se voit aussi dans toute l’Europe continentale, France comprise.
 
Le projet de réforme fiscale est ainsi pris entre deux feux :
 
- d’un côté les classes moyennes ressentent vivement un malaise du fait de promesses qui ne sont pas tenues ;
- de l’autre le président ne veut pas finir son mandat sans tenir jusqu’au bout la promesse qu’il a faite à ses amis du Fouquet’s, très représentatifs de la première catégorie : non seulement le bouclier fiscal mais la suppression complète de l’ISF.

Le seul moyen de satisfaire en même temps les uns et les autres, serait de réduire la pression fiscale. Or aucune des conditions pour ce faire n’est aujourd’hui remplie, au contraire :
Il aurait fallu réduire les dépenses publiques, mais on est à cet égard loin du compte : les collectivités locales ont toujours la bride sur le cou pour augmenter les impôts locaux, qui pèsent le plus lourdement sur les classes moyennes, notamment l’impôt foncier ; la RGPP a induit toute une série de dépenses supplémentaires que personne ne s’est soucié de contrôler : hausse massive des traitements des hauts fonctionnaires sous prétexte d’introduire la rémunération au mérite, désordre mis dans l’administration par des réformes de structure brouillonnes. Il est clair que dans ces trois années 2007-2010, rarement l’Etat français aura autant démontré son incapacité à réduire ses coûts ;
  
Dans une situation de croissance, la matière imposable se développant, il est possible de réduire les taux des impôts sans réduire leur rapport ; or la crise a entrainé un rétrécissement de la matière imposable qui limite considérablement la marge de manœuvre. Les deux dernières périodes de croissance où il eut été possible de réduire la pression fiscale: sous Rocard et sous Jospin, furent des occasions manquées : non seulement on ne l’a pas fait, mais on a alors utilisé la « cagnotte » pour engager des dépenses de fonctionnement pérennes.
 
Enfin l’acquiescement, discutable en lui-même, de Nicolas Sarkozy à la politique d’austérité promue par Angela Merkel va l’obliger à réduire fortement le déficit et, comme les dépenses ne diminuent pas rapidement, d’augmenter encore la pression fiscale. Paradoxe étonnant : Sarkozy veut inscrire l’équilibre budgétaire dans la constitution alors que tout le reste de sa politique rend cet équilibre à peu près impossible.

La conséquence est claire : en l’absence de perspective de réduction du prélèvement total, si le président supprime l’ISF – qui représente près de 6 milliards d’euros, il va nécessairement accroître encore la pression fiscale sur « ceux qui se lèvent tôt », soit la plus grande partie des classes moyennes, le troisième tiers étant hors course.
 
Typique de ce transfert de charges est la proposition d’un expert fiscal parisien formulée récemment dans le Figaro : remplacer l’ISF par une augmentation uniforme de l’impôt foncier. Rarement on vit proposition aussi légère ! Ce personnage ignore sans doute que dans une bonne moitié de la France (qui ne comprend ni Paris, ni Neuilly), l’impôt foncier est déjà écrasant ; il équivaut même dans certaines villes à un vrai loyer. Des petits propriétaires vendent leurs biens durement acquis car, la retraite venue, ils ne peuvent plus faire face aux charges. C’est la rançon de la licence accordée aux collectivités locales de dépenser sans compter. La taxe d’habitation est à l’avenant, à ceci près que la troisième strate en est généralement exonérée et quelle repose donc d’abord, elle aussi, sur les propriétaires.
 
C’est pourquoi l’équation de la réforme fiscale posée par Sarkozy est insoluble. C’est la quadrature du cercle : il ne pourra, comme il le souhaite, alléger encore les impôts de ceux qui, de fait, gagnent déjà de plus en plus, sans alourdir les impôts de ceux dont les revenus stagnent ou baissent.
 
Une cote mal taillée, telle qu’elle est envisagée par une partie de la majorité, se traduisant par de simples aménagements, risque de mécontenter tout le monde.
 
Fin politique malgré tout, le président a compris que, tant qu’à faire les mécontents, il valait mieux faire des choix clairs : contre les atermoiements de sa majorité, il préconise la suppression pure et simple de l’ISF. Les classes moyennes n’y retrouveront pas leur compte. Mais les 1 % du haut de l’échelle, eux, s’y retrouveront et seront encore mieux fidélisés et, comme ils contrôlent la plupart des moyens de communication, ils seront d’autant plus motivés pour faire la campagne du président sortant. C’est sans doute là le calcul que fait le président.

Mais ce calcul demeure éminemment risqué. Chirac avait sans doute perdu les élections de 1988 sur une annonce trop claironnée de la suppression de ce qu’on appelait alors l’IGF (impôt sur les grandes fortunes). Cette annonce était venue en tout début de mandat : les vieux routiers de la politique disent que l’opinion ne retient que ce qui se fait dans le premiers mois et dans les derniers. La mesure emblématique des premiers mois de la mandature Sarkozy fut la baisse du boulier fiscal ; si la mesure emblématique des ses derniers mois est la suppression de l’ISF, sa réélection est bien compromise.
www.marianne2.fr/Impots-Sarkozy-se-coupe-des-classes-moyennes_a203124.html

 Roland Hureaux - Chroniqueur associé | Jeudi 24 Février 2011 

Publié dans Fiscalité-Finances

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