Un point de vue sur l'enseignement en France

Publié le par desirsdavenirparis5

De notre ami :" Daniel Grande "

Aujourd’hui le mot clef est celui « d’excellence » plutôt que celui « d’élite ».

Selon moi, pour bien poser le problème des grandes écoles, il faut revenir à des éléments de l’identité nationale qui en ce domaine comporte depuis plus de 200 ans une dualité (les écoles spéciales/versus l’université -dont le dernier projet politique qui me semblait avoir du souffle social était celui de L.Bourgeois à la fin du 19è - ? Puis peut-être  au 20è la création du cnrs ? ).

Cette dualité est à revisiter totalement.

 

Je me  tiendrai aux trente dernières années : les « grandes écoles » (de quand date cette expression ?; n’est-elle pas à remettre en cause, ou au moins à mettre entre guillemets ? je ne vois pas ce qu’elle ont aujourd’hui de grandes !) ont fonctionné comme un moyen de faire émerger des éléments brillants pour la République (ex Seguin à droite, Césaire ..).

Dans les années 70, il y avait encore de la promotion possible de fils d’ouvriers et d’enfants autres que ceux des parents disposant d’un capital scolaire et culturel important.

Il y avait encore beaucoup d’ouvriers en France et l’élitisme dit républicain (cf Chevènement) fonctionnait encore : pourquoi, entre autres parce que le repérage des très bons éléments –ex  de Camus par les instit ou prof était plus facile et le côté « missionnaire » de la république  plus répandu chez les enseignants.

Enfin l’esprit de service public et de progrès des grands serviteurs de l’état (l’esprit cnr/reconstruction/but sociétal) était plus répandu que maintenant à l’ena (je pense à  Nora, et R.Lion), à polytechnique (L.Schwartz je crois) et ailleurs (ENS…).

Finalement on était dans l’esprit de « l’élitisme républicain » des Bienvenue par ex au début du 20è : on pensait moins à pantoufler dans le privé et si faire l’ena conduisait à la politique, on ne faisait pas l’ena d’abord pour être leader politique professionnel.

Donc, les élites techniques ou technocratiques légitimes avaient un support sociétal dans la tête et pas d’abord un appétit de pouvoir ou de places.

La lutte des places est devenue première et quand on pense à l’ena,  on a plus en tête des Haberer ou des Messier, c’est-à-dire à des gens qui singent le privé et sont à la fois une caricature du privé et une caricature du public .

Dans la même personne, on peut d’ailleurs voir la dégradation avec un Ch.blanc qui ne sera ni Delouvrier ni Hausmann avec son « grand paris » : l’excellence et la morgue sont incompatibles.

 

La formation des élites est devenue étroite et celles-ci se renouvellent mal (voir Baudelot sur l’élitisme républicain); et leur idéologie et leurs fonctions sont dévoyées.

La logique méritocratique a été remplacée par une logique nobiliaire (cf la noblesse d’état de Bourdieu) avec des « nobles » incapables de penser la crise de l’état (à gauche comme à droite et peu enclins à comprendre les enjeux de la décentralisation (ex Jospin), malgré l’Europe la décentralisation et la mondialisation: nb peu nombreux sont les maires énarques et polytechniciens, surtout en province, ce qui n’empêche pas de grandes agglo d’innover et de bien fonctionner, au contraire.

 

Enfin, il y a la massification (qui se traduit  dans les classes prépa par l’ouverture aux femmes, acquis de 68- dont l’effet induit en terme de reproduction sociale …est le développement de l’entre soi - ;  et le développement des théories du néo management et de l’individualisation (cf le goff et le nouvel esprit du capitalisme de Boltanski/chiapello), qui ont « gangrené » les élites de l’école publique.

Les rares enfants des classes populaires qui pouvaient dire merci à l’école républicaine dans les années 70 n’existent plus ; et je dirai par ailleurs que les élites nous ont mené à la crise (quelque part des gens brillants comme Naouri sous béregovoy 1): pour HEC par exemple , ce n’est pas étonnant, vu ce qu’ils apprennent depuis plus de 20 ans(avec une évolution inquiétante depuis la fin des années 90) et avec la fuite en avant  dans l’internationalisation  et les contenus de l’enseignement qu’ HEC ait produit de gens qui ne pouvaient qu’aider au développement de la crise financière : l’esprit critique a reculé en 30 ans à HEC et les outils d’appréhension de ls situation actuelle du capitalisme sont absents.

Heureusement, comme le dit Boltanski dans son dernier ouvrage, qu’on a des fenêtres qui s’ouvrent à nouveau depuis peu qui étaient interdites depuis  plus de 20 ans ( pour illustrer cela de manière anecdotique , c’est « le point » qui a fait l’an dernier un hors série sur Marx … fort bien fait) et ce débat fait partie de cette bouffée d’air.

 

Aujourd’hui, le débat sur les classes populaires est dévoyé par la notion de diversité : car les nouveaux prolétaires sont moins blancs qu’il y a trente ans et le système élitaire est plus fermé : ce n’est d’ailleurs pas un hasard que ce soit l’essec -qui a gardé un fond catho- qui a déployé depuis quelques années les initiatives les plus intéressantes d’ouverture des grandes écoles(HEC est nulle sur le sujet et son directeur a fort peu apprécié la charge de la femme de hirsch dans son bouquin qui provoque un petit séisme)

 

Si comme je le crois, il y a dans les « grandes écoles de prestige » , l’ens, quelle personnalités emblématiques peut-on citer aujourd’hui en sciences humaines et sociales : on pense encore à Badiou, Balibar, Baudelot (en espérant qu’ils en sont tous) ?

 

Donc hormis les élites scientifiques (sciences dures) que je connais moins, la France a une crise grave des ses élites politico/sociales, du fait d’un rapport particulier à l’état et la négligence des sciences sociales (on peut renvoyer à l’analyse de Beck sur le caractère aveugle des sciences sociales si elle restent dans une perspective nationale, et j’ajouretai qu’en France les élites ont abandonné la nation comme bien public en se jetant sauf exception dans une apologie de la mondialisation –ce qui n’empêche pas des discours républicains nostalgiques expression plutôt d’impuissance que  de vision.

En sciences économiques (exception ?), on ressort pour cause crise l’excellent aglietta ; et on a  des jeunes piketti et philippon qui par ailleurs sont passés par les eu et pas par les grandes écoles (amis avec une tendance « réductionniste » de statisticien, ce qui donne lieu à quelques déformations  comme parfois chez E.maurin)

 

Les grandes écoles nationales, jacobines et « généralistes »ne produisent plus beaucoup d’excellence scientifique et dévoient le système de pouvoir à l’ère des réseaux et de l’économie de la connaissance.

 

Puisqu’elle ne remplissent plus leur fonction et qu’elles ne sont pas portées par une vision,  parce que l’état nation est en crise et que l’appareil d’état enseignement supérieur (on peut reprendre des concepts de poulantzas /althusser!) est en crise,  la composition et la formation des élites est entièrement à revoir : pour cela il faut autre chose que l’autonomie Pécresse ou 30% de boursiers dans les grandes écoles (qu’il faut peut-être intégrer à l’université).

Daniel Grande

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article