Soyons intolérants avec le racisme

Publié le par desirsdavenirparis5

Le cinéaste Robert Guédiguian condamne les propos de Lars Von Trier (« Je comprends Hitler. ») lors du dernier festival de Cannes. Il invite à dénoncer un discours raciste prégnant et institutionnalisé.

La déclaration de Lars Von Trier à Cannes est intolérable. J’ai été ulcéré que personne ne quitte la conférence de presse. Je n’ai aucune tolérance, aucun humour en ce qui concerne ses propos. Je n’irai pas voir son film, Melancholia, quelque qualité qu’il ait. La distinction entre l’homme et l’artiste ne tient pas.


Cette intervention est éminemment politique, il s’agit d’une tribune internationale prononcée dans un lieu où l’on est très écouté – bien plus que dans les tribunes politiques. Outre la putasserie de ce propos, ce qui est dangereux, c’est qu’il soit partagé, relayé. Cette provocation, tous les racistes l’ont entendue, ainsi confortés dans leurs idées par un « grand » metteur en scène invité dans le plus grand festival du monde.


Notre société doit se prémunir des gens qui pensent cela. Il faut sanctionner et interdire ce type de propos. Eventuellement ne pas sélectionner le film de Lars Von Trier, éventuellement le boycotter – au cinéma la censure la plus forte est celle de l’économie ; si Lars Von Trier ne faisait plus une seule entrée peut-être qu’il fermerait sa gueule la prochaine fois…
Ces propos orduriers sont un symptôme très inquiétant de notre époque et de ce qui se passe en Europe. L’extrême droite gagne des élections, le racisme et la xénophobie augmentent. La parole raciste s’est libérée.
Alimenter la peur

La dépolitisation s’accompagne de deux phénomènes : une abstention grandissante et un accroissement des votes apeurés, reposant sur la xénophobie. Il n’y a plus de passion politique : la seule passion possible, aujourd’hui, c’est la peur. Les gens ont peur de perdre le peu qu’ils ont ; ils ont peur que des gens venus d’ailleurs viennent leur prendre leur bien, leur maigre bien. La prochaine élection présidentielle va se jouer là-dessus.
J’ai en tête les propos de la députée UMP Chantal Brunel, enjoignant de remettre dans des bateaux les immigrés qui viendraient de la Méditerranée. Refoutons les Arabes à la mer… De très vieilles rengaines peuvent toujours ressurgir au sujet des Méditerranéens, exploitées par des forces assez obscures. Je soupçonne même qu’il y ait une forme de racisme autour des Grecs, de la dette grecque. Les Grecs certes ne sont pas des Arabes, mais ils sont quand même des Méditerranéens qui ne foutent rien, qui trichent avec les impôts, alors que nous, nous sommes tellement exemplaires !
Raison et arguments

L’attitude de la droite française traditionnelle est choquante. Brasillach disait qu’un antisémitisme de la raison pouvait se substituer à un antisémitisme d’instinct. Je pense que Claude Guéant c’est un peu l’antiimmigration de la raison : on est sur des seuils ; il faudrait passer de 30 000 à 20 000 personnes, en ce qui concerne l’immigration choisie, comme s’il y avait quelque chose que l’on pouvait tolérer mais pas trop quand même. C’est une forme de racisme argumenté, institutionnalisé.


Il y a une autre forme de racisme, c’est un racisme inter- Français, pourrait-on dire. L’autre façon d’alimenter la peur, c’est le fait d’opposer différentes parties du peuple entre elles, les plus précaires aux moins précaires, les plus pauvres aux moins pauvres, les couches moyennes aux couches populaires, les chômeurs aux smicards, le peuple des banlieues au peuple des petits pavillons, celui des cités à celui des centre villes.


Ces clivages vont être exploités entre le centre et l’extrême droite. Mon prochain film, Les neiges du Kilimandjaro, traite de cette question-là, de la fracture au sein de la classe populaire, fracture générationnelle, celle qui oppose le jeune homme joué par Grégoire Leprince-Ringuet au couple interprété par Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin.


Le discours raciste, on ne le conteste jamais assez et on ne l’a pas assez combattu à gauche. A l’Estaque, à Marseille, là où je suis né, je me souviens que certains militants communistes dans les années 1965-70 se plaignaient que des Arabes leur prenaient du travail. J’étais avec mon ami Malek Hamzaoui, mon directeur de production, et il lui disaient : « mais toi, Malek, c’est pas pareil…  », c’est toujours le même argument. Je m’en veux de n’avoir pas été assez vigilant ; ce jour-là, à cette terrasse de bistrot où l’on vendait L’Huma, on aurait dû dire au type « si tu redis ça, on te casse la gueule, en tout cas on te reparle plus jamais. Et on va proposer ton exclusion du Parti ». Le racisme, il faut le combattre dans l’oeuf et il faut être intolérant.


La seule chose qui me ravit, qui me semble positive dans ce climat délétère, ce sont les révoltes arabes car cela fait des lustres que chacun y va de sa lecture du Coran, de la loi islamique, de la non-laïcité de l’islam pour dire que l’islam est incompatible avec la démocratie et que les pays arabes seront toujours des pays arabes, non démocratiques. Ce n’est pas vrai. Cela va changer avec force. Ils vont faire en cinquante ans ce que nous avons fait en cinq siècles. Ils seront démocrates bien plus tôt que nous.


Propos recueillis par Juliette Cerf.


Par Robert Guédiguian| 3 août 2011

 

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