Royal en son royaume

Publié le par desirsdavenirparis5



Publié le 28/01/2010 N°1949par Le Point

 

Ségolène Royal - © VALINCO/SIPA

 

Propos recueillis par Michel Revol

 

Un gobelet de mauvais café à la main, cernée d'élus trempés par la pluie qui cingle au dehors, Ségolène Royal se marre : « Je viens chercher des ondes positives ! » A Saint-Hilaire-la-Palud, bourg coquet du marais poitevin, elle est chez elle. Tout a commencé il y a une vingtaine d'années. « Mitterrand l'avait envoyée conquérir le marais », raconte monsieur le maire. Tout juste élue dans les Deux-Sèvres, la députée Royal crée à Saint-Hilaire le Syndicat de pays du marais poitevin. « Un coup de génie , se souvient-elle sans guère de modestie. Certains élus de droite voulaient faire passer une autoroute ! » Samedi matin, comme une ancienne élève retrouverait son pupitre, elle visite son bureau, à l'étage de la petite mairie. Puis elle file visiter la bourgade. Dans un bar, une dame sort quelques photos prises avec la jeune députée en robe d'été. « Tu te rappelles, Ségolène ? » Au village, tout le monde la tutoie. Elle a d'ailleurs failli acheter une maison à Saint-Hilaire. Sous son parapluie, Ségolène est radieuse. Loin, bien loin de Paris et des mauvais sondages.

La matinée s'achève. La candidate doit rallier La Rochelle. A 15 heures, elle est la vedette d'un grand meeting. A l'arrière d'une berline noire, Ségolène Royal consulte les dernières nouvelles sur son portable. Sur la banquette s'empilent journaux, dépêches d'agence et un monceau de notes. L'avant-veille, Vincent Peillon a créé la polémique en refusant de débattre sur France 2. Tout à sa campagne pour sa réélection en Poitou-Charentes, elle élude le sujet. Plus exactement, elle l'évoque par une antiphrase taquine : « Ici, j'observe, j'écoute, je regarde les autres s'agiter dans le bocal. Ici, les gens sont normaux et pleins de bon sens. » Peillon appréciera.

Un bonbon à la menthe, et madame la présidente change de sujet. Presque en même temps, tout près de là, son challenger, Dominique Bussereau, tient son propre meeting. A son habitude, le secrétaire d'Etat aux Transports laisse Raffarin « sortir la grosse Bertha » . Bussereau, parti en campagne contre son gré, se réserve un autre rôle. « Mme Royal aime se victimiser . Je suis donc plus tolérant que rentre-dedans. » Dans le journal local du jour, il affirme par exemple qu'il est en charentaises, manière de dire qu'il est à l'aise dans cette campagne. Avec son plus beau sourire, Ségolène Royal lui règle son compte. « Il est en charentaises ? Ça veut dire qu'il ne fait rien ! Et puis, il peut me remercier : c'est grâce à moi qu'il peut enfiler des charentaises, parce que j'ai empêché la délocalisation de leur fabrication au Japon ! »

Combative. Ségolène Royal n'aime pas qu'on vienne la chercher sur ses terres. Derrière la vitre de la berline, la campagne est cafardeuse. Elle, en revanche, est d'humeur combative. La veille, quelques articles ont évoqué des difficultés pour débloquer des fonds pour Heuliez, que la région tente de sauver. « Qui est derrière ces articles ? Encore le préfet et Dominique Bussereau, pour me nuire le jour de mon meeting ! » Quelques heures plus tard, pourtant, elle change de discours. Devant la foule amassée dans une grande salle sombre de La Rochelle, elle n'évoque jamais ses adversaires de l'UMP. Elle parle écologie, démocratie participative, sauvegarde de l'emploi. Elle est en forme, et plutôt drôle. Ainsi lorsqu'elle raille à la tribune « messieurs les dubitatifs, messieurs les dénigreurs » - tout ceux qui lui veulent du mal.

Délaissant ses notes, elle raconte une anecdote. Il y a quelques semaines, certains « dénigreurs » critiquent le véhicule Heuliez. Ils disent qu'il est incapable de grimper la côte qui va de la gare de Poitiers au conseil régional. Ni une ni deux, Royal convoque des journalistes, fait venir une voiture Heuliez, se met au volant et attaque la montée. « Eh bien, on a vu : elle monte fort bien la côte ! » Eclats de rire dans l'assistance. C'est ce qu'elle doit appeler la politique par la preuve.

 

Ségolène Royal est sûre d'elle. D'où sa sérénité, sans doute. Sur les routes sinueuses du marais poitevin, elle fait ses comptes de campagne : « J'aurais pu passer dès le premier tour si j'avais eu les Verts et le MoDem avec moi. » Ils n'y sont pas, sauf certains d'entre eux. Pour l'heure, deux Verts ont rejoint sa liste, plus deux centristes, dont Alexis Blanc. Royal courtise depuis longtemps le patron du MoDem de Charente-Maritime. A l'automne, elle l'invite dans son bureau du conseil régional, avec trois autres leaders centristes. « Mme Royal était à l'heure. J'en ai conclu que l'affaire était importante ! » rigole Blanc. Elle l'est : la candidate leur offre plusieurs places éligibles. « En avez-vous parlé avec François Bayrou ? » s'inquiète Blanc. « Oui, répond Royal. Il m'a dit que le niveau local était libre de décider. » Blanc n'en croit pas un mot, mais il hésite. Elle le revoit fin décembre, pour une nouvelle tentative de séduction. Cette fois, le jeune MoDem, sorte de Hugh Grant charentais, ne résiste pas : samedi dernier, dans une opération cousue de fil blanc, il annonce juste avant le meeting socialiste son ralliement.

Si on y ajoute deux syndicalistes, plus sans doute quelques communistes, la liste de Royal préfigure ce qu'elle aimerait proposer à la France : une vaste alliance de la gauche de la gauche au centre. Pourtant, au sein du PS picto-charentais, l'affaire n'a pas été simple. Il y a dix jours, la présidente réunit les quatre patrons des fédérations PS locales. Pouria Amir­shahi, l'un d'eux, s'accroche avec elle sur la question de l'ouverture au centre. Il lui reproche de transformer la région en laboratoire national. « Mais je ne fais pas de politique nationale », répond-elle sans rire. D'autres socialistes contestent son autorité locale. En octobre, une inconnue ose s'opposer à sa candidature pour mener la liste PS. Ségolène Royal fait mine d'avoir oublié son nom. Comme un lointain hoquet du fameux « Qui connaît M. Besson ? » elle questionne : « Madame qui ? » Mme Nicolas. « Ah, non, ça ne me dit rien. » Difficile à croire : Marie-Christine Nicolas a obtenu plus de 16 % des suffrages des militants. A cause de ce résultat, Royal est la moins bien élue des têtes de liste socialistes, mis à part les cas de Champagne-Ardenne et de Languedoc-Roussillon (les candidats PS étaient des prête-noms).

Sarko en négatif. « Ségolène a très mal pris ma candidature , raconte Marie-Christine Nicolas. Pourtant, je ne voulais pas la mettre à mal dans sa région, mais dénoncer ses pratiques. Ségolène Royal, c'est Sarko en négatif. » La frondeuse regrette ainsi que Royal n'ait fait aucun compte rendu de mandat avant le vote d'investiture, ni aucun appel à candidature pour mener la liste. En ses terres, la dame du Poitou ne supporte guère la contestation.

Son bilan à la tête de la région est pourtant salué, sauf par l'UMP. Maligne, Royal tente de faire croire que sa gestion est elle aussi consensuelle. « 99 % des délibérations sont votées par la droite », dit-elle en décembre au JDD . Le chiffre impressionne. « Il est exact, à peu de chose près , confirme Elisabeth Delorme-Blaizot, seule élue MoDem du conseil régional. Mais ça ne veut pas dire que nous sommes d'accord avec ses choix .» Les délibérations d'un conseil régional portent en majorité sur des décisions techniques. « On ne va pas s'opposer à la réimplantation de haies dans les campagnes ! » ironise Elisabeth Delorme-Blaizot. En revanche, le budget, qui marque la véritable orientation politique d'une collectivité, n'est pas voté par l'opposition. C'est un seul vote, mais il pèse lourd.

Le résultat des régionales ne fait toutefois guère de doute. La présidente sortante devrait être reconduite. A Saint-Hilaire, on y croit. Sous la pluie qui tombe à seaux, une petite dame prend le bras de Royal : « C'est une grande année pour toi, Ségolène ! » La dame du Poitou sourit. Dans le marais poitevin, elle fait le plein d' « ondes positives ».

Publié dans Ségolène Royal

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