"Le souci de Mitterrand, c'était l'Europe"
En 1989, au moment où le Mur de Berlin est tombé, Jean-Louis Bianco était secrétaire général de l'Elysée.
"De ce 9 novembre 1989, je garde en mémoire des images extraordinaires, vues à la télévision dans mon bureau de l’Elysée. J’ai vécu ces événements avec un enthousiasme énorme. J’avais des amis à Berlin-Est et Ouest, je savais ce que vivre dans cette ville voulait dire. Peu de jours après, j’avais reçu à la maison Rudolf Von Thadden, un intellectuel proche du SPD devenu un ami. Nous lui avions offert un gros gâteau avec écrit dessus 'Vive l’unité allemande!'. Pour nous, il était évident que tout cela allait conduire à la réunification.
C’était aussi le cas pour Mitterrand, quoiqu’en disent certains. La polémique est née de ses entretiens avec Thatcher, qui ont été rendus publics et qui pouvaient laisser penser que Mitterrand était aussi opposé qu’elle à la réunification. En fait, il avait pour habitude de laisser dire Thatcher, d’épouser certaines de ses thèses. Mais dans le fond, il considérait que la chute du Mur était une bonne chose. Son seul souci était que cela se passe pacifiquement et que la construction européenne se poursuive. Il n’éprouvait pas une certaine peur des Allemands, contrairement à Roland Dumas, dont le père résistant avait été fusillé, ou Jacques Attali, qui est juif. Attali essayait d’ailleurs de tirer Mitterrand vers ses propres préoccupations. Mais sans succès.
Bien sûr, il y a eu des tensions avec Helmut Kohl. Le problème était que Kohl évitait soigneusement de parler de la ligne Oder-Neisse, la frontière entre la Pologne et l’Allemagne de l’Est. Chaque fois qu’on évoquait ce sujet, il fuyait, ce qui avait le don d’énerver Mitterrand. Je répétais au président: 'Ne vous inquiétez pas, c’est la dernière chose qu’il lâchera, mais il la lâchera.' Et il a fini par céder. Le deuxième motif d’agacement, c’est ce plan en dix points pour la restauration de l’unité allemande que le chancelier présenta le 28 novembre. Il semblait y évacuer la question de l’unité monétaire européenne. Alors que pour Mitterrand, mais aussi Kohl, la réunification allemande devait s’inscrire dans la construction européenne. Finalement, cela s’est réglé quelques jours après lors d’une conversation téléphonique entre eux.
Autre polémique: le voyage que nous avons effectué en RDA, en décembre 1989. Il était pourtant prévu de longue date et Kohl en avait été prévenu. Lors de cette visite, j’avais rencontré Gregor Gisy, le patron du SED (parti communiste est-allemand). Au cours du dîner officiel, il m’avait lâché, en montrant la fresque ridicule qui ornait la salle et où étaient représentés des ouvriers au travail: 'Dire qu’on a toujours prétendu les défendre alors qu’on les a constamment trahis!'
La France, je le pense, a très bien joué lors de la chute du Mur. La construction européenne est restée notre priorité. Je conserve toutefois un grand regret: celui de n’avoir pas su convaincre Mitterrand de faire un grand discours adressé aux peuples français et allemand. Il aurait pu avoir lieu lors de notre voyage à Berlin. Mitterrand aurait parlé devant le Mur. Il a hésité longuement. Finalement, il a estimé qu’il n’y avait pas sa place."
J-L Bianco
Le JDD, 7 nov 2009