La burqa fait exploserle monde laïque

Publié le par desirsdavenirparis5

Article de Gérard Desportes 30 Janvier 2012 Mediapart


      Loin de rassembler le corps social sur les valeurs traditionnelles de la République, les pouvoirs publics sont-ils en train de l'éclater? Une semaine à peine après la remise du rapport parlementaire sur le voile intégral et alors que le débat sur l'identité nationale continue de produire ses effets dévastateurs, il est permis de se poser la question.

 

      La foire d'empoigne est en effet générale. On a même failli se taper dessus entre membres de l'UMP lors du vote – à une voix près – du rapport présenté par Eric Raoult au nom de la mission parlementaire. Ce dernier lançant publiquement à l'adresse de son président de groupe, Jean-François Copé: «S'il me cherche, un jour, il va me trouver.» La décision du chef de l'Etat de temporiser en renvoyant à après les élections régionales toute décision d'interdiction n'a pas suffi à calmer les esprits. Le premier à monter au créneau pour prendre date aura été justement Jean-François Copé qui – à peine le rapport rendu public – a déposé une proposition de loi. Il rencontrait ce vendredi 29 janvier Xavier Bertrand pour parler avec lui de la division qu'il contribue à aiguiser. Jeudi 28 janvier, dans Le Figaro, il a sorti l'artillerie lourde. «C'est une contribution très utile, mais la mission n'a pas tranché deux points majeurs. Peut-on se passer d'une loi? Ma réponse est qu'il faut une loi. Quel doit être son périmètre? La première option, c'est l'interdiction générale du port du voile intégral dans tout l'espace public. C'est ma position, et elle a le mérite de la simplicité et de la clarté sur la base du critère de sécurité.» De nombreux députés de droite sont sur cette ligne; d'autres d'une sensibilité démocrate-chrétienne y sont viscéralement hostiles. Mais à gauche aussi, une loi générale a ses partisans, dont Manuel Valls, Aurélie Filippetti et André Gerin, tandis que la position officielle du PS va à un refus d'une «loi de circonstance, inapplicable» et alors que celle du PCF est plus alambiquée.

 

      Mais c'est dans le monde associatif que les désaccords sont les plus vifs. Et c'est là qu'ils disent le mieux les dégâts occasionnés par quatre mois de débats sur l'identité nationale et la place de l'islam en France.

 

      «La burqa n'est pas la bienvenue sur le territoire de la République française», avait dit le président de la République le 22 juin 2009 devant le Congrès réuni à Versailles. On aurait pu penser que les associations dont l'objet est la défense de la laïcité et des droits de l'Homme allaient se retrouver sur une base aussi minimale. Que nenni. Ou plutôt, si tout le monde combat le voile, c'est carrément la guerre ouverte. Pour ne citer que les plus connus, côté droits de l'Homme, la Licra est pour une loi interdisant la burqa, tandis que la LDH ou le Mrap sont contre. Côté associations, Riposte laïque ou Unfal sont pour la loi, tandis que la Ligue de l'enseignement ou La Libre Pensée sont contre. Ce ne serait pas grave – un débat même vif et sur une mauvaise question peut avoir ses vertus – si la violence des échanges ne soulignait un climat délétère entre gens issus, pour l'essentiel de la gauche et de l'extrême gauche, et qu'un même et ancestral combat contre la calotte de toute obédience unissait. Du moins jusqu'à l'hiver 2009.

 

      En quelques semaines, le voile a pris des proportions inouïes. Une littérature nouvelle vient d'apparaître, aussi grandiloquente et grandiose que la pratique du voile est marginale et infime. Ainsi, pour l'Union des familles laïques, «le port du voile intégral a également pour effet de rejeter l'autre à une distance infinie. La burqa est une façon de signifier que tout contact avec autrui est une souillure. Elle crée, de façon visible, une classe d'intouchables». A l'inverse, «pour le Mrap, en rester à l'interdiction vengeresse et stérile de la “burqa” ferait porter à la société française une lourde responsabilité». On pourrait multiplier les exemples de cette prose incandescente. Elle est parfois nauséabonde.

 

      Par exemple un diaporama sur Riposte laïque.

 

      Une vidéo qu'il faut rapprocher de cette interview sur le même site. A quand un lien avec les sites identitaires qui se font une spécialité de rendre compte des prières du vendredi sur les chaussées de certaines villes de France?

    *

      Un déluge délirant qui inquiète

 

      Dans la livraison de ce vendredi matin, Riposte laïque règle ses comptes avec Marc Blondel de la Libre Pensée et ses «pathétiques arguments» et quelques autres coupables de ne pas penser comme eux. Il y a deux jours, sur le même site, un éditorial de Cyrano s'en prenait aux dirigeants de la gauche: «Mais cette gauche, celle de Cohn-Bendit, Aubry, Buffet, Besancenot, est aujourd'hui la pire adversaire de la République, de la Nation et de la laïcité. Car, au-delà des mots, qu'y a-t-il encore de républicain chez des personnes qui, comme Marie-George Buffet, refusent de voter une loi contre les signes religieux à l'école publique? Qu'y a-t-il de républicain chez ceux qui, comme le parti socialiste ou les Cohn Bendit, luttent pour que l'infâme burqa continue à agresser les Français? Qu'y a-t-il de républicain chez ceux qui, comme Martine Aubry, relaient les discours de Yazid Sabeg et de Nicolas Sarkozy, réclament la discrimination positive, et militent ouvertement pour le communautarisme et le multiculturalisme? Qu'y a-t-il encore de républicain chez ceux qui, tels Jean-Christophe Cambadélis ou Jean-Paul Huchon, insultent Eric Besson et le comparent à Déat, pour avoir osé lancer le débat sur l'identité nationale? Qu'y a-t-il de républicain quand le même Jean-Paul Huchon signe un texte abominable, en compagnie de Valérie Pécresse, impulsé par Lilian Thuram, Christiane Taubira et l'inévitable Richard Descoings, pour nous vendre la discrimination positive, au nom d'une république multiculturelle post-raciale?» Et qu'on ne s'y trompe pas, Riposte laïque se revendique du progrès. «Bien sûr, notre combat laïque et républicain s'accompagne d'un projet de progrès social», affirment ses promoteurs.

 

      Les débordements verbaux sont maintenant monnaie courante. Le Comité laïcité et république emmené par l'ancien grand maître du Grand Orient, Patrick Kessel, s'en prend aux «islamogauchistes qui sont arrivés à cannibaliser le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples)». Patrick Gaubert, le président de la Licra, à qui André Gerin expliquait qu'il fallait «combattre les salopards qui pourrissent la vie de nos quartiers», répond que «les salopards doivent être  flingués – moralement et intellectuellement, s'entend...», le tout retranscrit sur le compte rendu officiel de l'Assemblée nationale. Dans certains endroits, comme à Roubaix, des associations membres de collectifs laïques sont jetées à la rue ou quittent les lieux pour cause de désaccord avec d'autres structures laïques. Les horions menacent, les noms d'oiseaux volent. A lire cette presse laïque, on a parfois l'impression de parcourir certains journaux de l'entre-deux-guerres.

 

      A cet étiage de méchanceté et de hargne, les communiqués de la Libre Pensée, ceux de la Ligue de l'enseignement, jadis réputés pour leur vigueur, paraissent de mièvres bluettes.

    *

      Quelle laïcté pour demain

 

      Pourquoi cette poussée de fièvre? Philippe Portier est directeur du laboratoire Groupe société-religion-laïcité au CNRS et professeur à l'Ecole pratique des hautes études. Il tente une explication: «Les mouvements laïques à gauche étaient relativement homogènes, ils sont confrontés à une situation inédite que les débats actuels sont venus aiguiser. Le prolétariat, les travailleurs, sont maintenant marqués par des attaches religieuses. Ils sont musulmans et pauvres. Or ces mouvements se sont forgés dans la lutte contre le religieux, le religieux catholique, comme outil d'une aliénation. Comment combiner rejet du religieux et défense du pauvre? C'est compliqué. D'autant plus compliqué, que la notion d'égalité, autre fondement de ces mouvements, ne s'envisage plus de la même manière. Avant, cette égalité était universaliste, sans distinction. Aujourd'hui, elle est davantage ancrée sur les différences, des singularités. Enfin, il y a la question de la liberté. Ils sont tous contre le voile, par principe. Mais pour certains, la burqa et par extension l'islam remettent en cause la liberté de l'être debout. Pour eux, le voile s'attaque à l'autonomie des personnes. A ce titre, il est une agression fondamentale, un obscurantisme insupportable. L'islam étant une religion hétéronome, ils ne sont prêts à aucun accommodement.

      Le voile agit comme un amplificateur de quelque chose qui existe depuis déjà quelques années. On assiste à une séparation entre ceux qui pensent que la liberté de pensée est une notion supérieure à la liberté de conscience et qui considèrent que, le voile empêchant de penser, l'Etat doit empêcher le voile. Il doit arracher les individus à leurs croyances. Et ceux qui, dans la tradition de la loi de 1905, restent sur cette idée que l'Etat, pas plus que la religion, n'a pas à empiéter dans la sphère privée, le vêtement étant un strict domaine de la vie privée. Ces deux tendances s'affrontent et elles sont en compétition avec une troisième que l'on peut appeler les tenants de la laïcité plurielle. La Ligue de l'enseignement par exemple, ceux-là sont favorables à une évolution. Cette compétition accroît l'âpreté des débats.»


  A écouter ce chercheur, le processus en cours serait donc antérieur au débat sur l'identité nationale. Ce qui ne fait aucun doute. Rétrospectivement, il faut toute de même se rappeler les propos du président de la République devant le Congrès à Versailles pour prendre conscience que, pour le moins, l'affaire a été mal menée.

 

        Comme il ne fait aucun doute que si les échanges restent à ce niveau, la tension risque d'être insupportable au printemps quand le Parlement se penchera sur la proposition Copé. Entre une droite chauffée à blanc et des associations hystériques, l'«islamofolie» a de beaux jours devant elle. Hélas

Publié dans Racisme

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