Ile-de-France: Jean-Paul Huchon est-il un grand mou inconsistant?
29 Janvier 2010 Par Michaël Hajdenberg MEDIAPART
«C'est pas ma faute, c'est l'Etat.» Le raisonnement paraît un peu enfantin, mais c'est celui choisi par Jean-Paul Huchon pour défendre son bilan à la tête de la région Ile-de-France. Lundi, il présentera son programme pour les six années à venir. Mais il devra aussi s'expliquer sur les années passées. Pour l'instant, son argumentation se développe en deux points.
1) Personne ne le sait, mais il l'assure, il a vraiment fait beaucoup pour la région.
2) Ce qu'il n'a pas fait, c'est parce qu'on l'en a empêché.
Pour passer le temps quand ils attendent leur RER, les électeurs franciliens auront tout loisir de réfléchir à ces arguments d'ici au premier tour des régionales. On leur souhaite bonne chance. Car en Ile-de-France, démêler la responsabilité de la région de celles de l'Etat, des départements, de la RATP, de la SNCF et des communes est à peu près aussi simple que de s'orienter sur un plan de métro en noir et blanc.
Même les experts peinent à y voir clair. Dans son bureau du conseil régional, Jean-Paul Huchon montre fièrement les maquettes du «train du Futur», le Francilien, et explique: «En 1998, quand je suis devenu président, la région n'existait pas. Maintenant elle existe.»
Sans que les Franciliens connaissent pour autant le nom de leur président: 35% seulement s'exclament « Huchon » quand LH2 les sonde à ce propos. «Ils étaient 7% en 2004, précise le président, et d'autres études de notoriété me placent à 84%.»
Sans que personne ou presque ne puisse situer géographiquement la région: l'idée de créer un Hôtel régional pour l'identifier n'a jamais vu le jour.
Et surtout donc, sans que grand monde puisse énoncer ses compétences et ses réalisations. Cela est vrai partout en France? Certes. Mais Jean-Paul Huchon dirige quand même depuis douze ans la plus grande région du pays. Or son nom n'est associé à aucun projet d'ampleur. Et vu les chantiers actuels, aucune inauguration lors de la prochaine mandature ne viendra a priori combler ce manque.
Alors, le président peut bien commencer son bilan par un long monologue sur les lycées, dont il vante les 259 rénovations. Il peut bien expliquer que la Région est allée au-delà de ses compétences prévues en matière de logement, de crèches, de culture, de soutien à la recherche. En réalité, il sait parfaitement que c'est sur un autre terrain que Valérie Pécresse et l'UMP vont venir le chercher: celui des transports.
Car sur les quais de gare comme dans les gazettes, on parle avant tout des trains qui n'arrivent pas à l'heure. Et ils sont encore nombreux, comme ne manque pas de le souligner la candidate UMP.
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Contenter le moindre conseiller de Seine-et-Marne
Toute la question est donc de savoir si Jean-Paul Huchon aurait pu faire mieux ou, au moins, différemment.
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Mais avant cela, il faut souligner les points d'accord: nul ne nie que Jean-Paul Huchon est un bon gestionnaire. «Nous sommes la collectivité la plus “sécure” de France», se vante-t-il d'ailleurs. Trois lettres sont accolées à l'Ile-de-France: AAA, qui disent l'excellence de la gestion régionale selon des agences de notation internationales.
Bon gestionnaire, donc. Et très apprécié pour son sens de la démocratie: respectueux de ses petites mains comme de ses opposants politiques. Bref, un homme de consensus si attentif à l'opposition qu'au début de sa présidence, une bête réunion de commission pouvait durer toute une journée: les discours n'étaient pas limités.
Seulement, l'homme a les défauts de ses qualités. A force de vouloir mettre tout le monde d'accord, on lui reproche de ne pas savoir trancher, et surtout de ne pas prendre de risques. Jean-Marc Brûlé, porte-parole de campagne d'Europe Ecologie, explique: «Il aurait fallu plus d'audace, plus de radicalité. On est dans une gestion trop orthodoxe. Il faut donner plus aux PME, aux chercheurs et mettre l'accent sur l'économie verte.»
Les Verts ne se bousculent toutefois pas au portillon pour juger le bilan Huchon. Ils ont pleinement participé à la majorité, et chez Huchon, si on reconnaît que le président n'est pas très porté sur l'environnement, on estime que «les Verts avaient toutes les capacités pour aller plus loin».
D'ailleurs, Jean-Marc Brûlé se montre bien embêté quand on lui demande de citer un projet qu'auraient porté les Verts et dont n'aurait pas voulu le président. «Ce ne sont pas les idées, c'est la mise en œuvre qui pose problème. Par exemple, il a fallu des années pour combattre l'inertie de la région sur le tri du papier», tente-t-il d'argumenter.
Le schéma directeur de la région, c'est-à-dire la vision de la région pour les trente prochaines années, porte la marque verte: des villes denses, sans colonisation de nouveaux territoires, tenant compte des crises environnementales et énergétiques.
Les objectifs de départ de réduction des inégalités territoriales, de rééquilibrage entre l'Ouest et l'Est, ont également fait l'unanimité au sein de la majorité régionale. C'est ensuite que cela s'est gâté. «Huchon a entendu tout le monde, et a voulu contenter jusqu'au plus petit conseiller régional du fin fond de la Seine-et-Marne. Résultat: les priorités ont disparu», explique un urbaniste, rejoint dans son analyse par de nombreux membres de la majorité régionale, PS compris.
A la mairie de Paris, derrière une solidarité électorale de rigueur, certains se lâchent en off: «Faire remonter des demandes et en faire une synthèse en saupoudrant, cela ne fait pas un projet partagé. Les grands enjeux n'ont jamais été débattus: la place du quartier de la Défense, des aéroports, les mutations de la ville, les alternatives aux infrastructures ferroviaires. En fait, Huchon n'a pas de vision. Et il a du coup laissé un boulevard à la droite.»
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Beaucoup reprochent encore au président d'avoir mis des années à accepter l'idée d'une rocade de métro autour de Paris. «Il n'a pas saisi l'ampleur du problème alors que cette idée de rocade et de développement par pôles était inscrite dès 1989 dans le plan pour l'Ile-de-France de Michel Rocard. Et que la RATP a porté le projet dès 2001.» Comment pouvait-il l'ignorer, lui, qui fut le directeur de cabinet de Rocard à Matignon et qui lui avait succédé à la mairie de Conflans-Saint-Honorine?
Quand il arrive à la présidence de la région en 1998, Jean-Paul Huchon hérite, nul ne le nie, d'une situation catastrophique: 30 ans de sous-investissements dans la région. Mais à l'époque, la région ne tient pas les manettes du Stif (Syndicat des transports d'Ile-de-France), cette instance en charge du développement des transports de la région. Et de toute façon, le recensement de 1999 ne laisse pas entrevoir de boom démographique. Personne ne perçoit la montée en puissance des transports en commun, qui vont grignoter des points chaque année par rapport à la voiture à partir du milieu des années 2000.
La donne change subitement en 2004, avec la loi Raffarin de décentralisation. Jean-Paul Huchon se retrouve propulsé en première ligne, à la tête du Stif. A partir de 2005, l'urgence de la situation se précise. Il faut agir, lancer ces chantiers qui prennent des années. Paris n'est pas Madrid, capable de construire plusieurs dizaines de kilomètres de métro en quatre ans.
La France, ce sont des concertations, des débats et des enquêtes publiques. Un processus démocratique exemplaire mais interminable. C'est d'ailleurs le seul regret que Jean-Paul Huchon consent à admettre sur «son» bilan: «Que les procédures soient si longues pour chaque infrastructure.»
Mais c'est sur un autre os que Huchon va tomber. Car les compétences ne suffisent pas pour lancer les RER à travers champs. Il faut du blé. Dans les autres régions, l'Etat a «compensé» le transfert de compétences, donné l'équivalent financier. En Ile-de-France, Jean-Paul Huchon ne parvient pas à obtenir les 800 millions d'euros annuels qui lui reviennent de droit. 800 millions!
Les administrateurs du Stif se mettent en grève. Le bras de fer est lancé. Mais le président, grand amateur de rock, n'aime les Clash qu'en musique. Pas en politique, où il privilégie le consensus.
Il explique: «J'ai été victime d'ostracisme, d'une hostilité politique.» Pour son entourage cela ne fait aucun doute: depuis trois ans, l'Etat bloque tous les financements pour l'Ile-de-France de façon que Huchon se présente aux élections régionales sans bilan.
Le gouvernement l'aurait ainsi laissé mariner, lui aurait laissé espérer un accord sur le schéma directeur, avant de lui planter un couteau dans le dos sous la forme d'une grande offensive: Sarkozy qui fait son show sur les errements du RER A, Christian Blanc nommé secrétaire d'Etat sous prétexte que la Région n'a pas de projet d'envergure, et un projet de transport concurrent lancé en grande pompe avec le concours des plus grands architectes du monde.
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«Il a perdu la bataille de la communication»
Devant ses proches, Huchon aime citer une phrase de Neil Young: «It's better to burn out than to fade away» (il vaut mieux se brûler les ailes que de partir sur la pointe des pieds). En l'occurrence, c'est pourtant lui qui passe pour un grand mou, immobile, inconsistant. Refusant d'ouvrir le débat sur la gouvernance, arc-bouté sur ses prérogatives.
Pierre Mansat, adjoint du maire de Paris et initiateur de l'instance Paris Métropole, le regrette: «Il a été timide, et encore, le mot est faible, sur les questions de gouvernance.» Les relations entre Jean-Paul Huchon et Bertrand Delanoë, cordiales en public, n'ont jamais été au beau fixe.
En mars 2001, au soir de l'élection de Bertrand Delanoë, alors que toute la gauche se réjouit de cette prise «historique», Huchon explique à qui veut l'entendre que le vrai tournant historique date de 1998, quand la région est tombée à gauche.
Jalousie. Concurrence. Et incompatibilité de caractère: le président de région n'a jamais supporté les sautes d'humeur du maire de Paris, sa manière de faire des esclandres, de raccrocher subitement au téléphone, et de «prendre toute la place» dans les médias. Chez Delanoë, on reproche à Huchon d'avoir toujours considéré la région comme une collectivité au-dessus des autres, faisant fi du poids du maire de Paris. Et on ne manque pas de rappeler que les deux hommes n'ont pas la même conception de la politique, allusion directe à la condamnation en justice de Jean-Paul Huchon, coupable d'avoir favorisé l'embauche de son épouse par des sociétés prestataires de la région.
Ces relations froides (malgré du mieux ces derniers mois) sont-elles responsables de l'échec de la gauche, pourtant détentrice de la région, de la Ville de Paris et d'autres grandes communes, à construire un projet d'ampleur et d'avenir en Ile-de-France?
Un géographe explique: «Jean-Paul Huchon a surtout le souci des finances et c'est très bien car la région, c'est un budget serré de 4,5 milliards d'euros (NDLR: contre 7,3 milliards pour la Ville de Paris). Son plan était de rattraper les retards accumulés depuis des années, et c'était probablement le plus urgent. Mais il a perdu la bataille de la communication. Il n'a pas su expliquer, mobiliser.»
Alors que les projets des architectes sollicités par Nicolas Sarkozy sur la ville durable se révèlent au final très compatibles avec le schéma directeur conçu par Huchon, c'est le président de la République qui passe pour l'homme de l'avenir, en mouvement, qui trace de grandes perspectives. Pendant ce temps-là, Jean-Paul Huchon peine à faire entendre que le projet Blanc est bancal et très discutable.
Sans argent, démuni, qu'aurait dû ou pu faire Huchon? Prendre un emprunt au nom du Stif pour pouvoir lancer les grands chantiers? Il s'énerve presque: «On a emprunté 900 millions pour les tramways.» Qui concernent seulement des centaines de milliers de personnes, râlent ses détracteurs. Pas des millions comme le RER.
Jean-Paul Huchon conteste, et rappelle son choix audacieux de privilégier le canadien Bombardier au détriment du français Alstom pour le nouveau «TGV de banlieue», le Francilien: «C'était 10% moins cher. Les premiers ont été mis en place le 13 décembre. Et pour l'instant, il n'y a aucun problème.»
A la Région, pour valoriser le bilan, on cite également le prolongement des lignes 13 et 14. Les travaux engagés ici ou là sans le concours de l'Etat. Et on rappelle ce qui est à venir, comme le prolongement de trois lignes de métro et «la modernisation» des RER. Sans qu'on sache exactement ce que ce terme recouvre.
Au final, le bilan est jugé insuffisant par l'UMP: «Il n'a pas lancé un seul grand projet en dix ans.» Et mitigé par certains socialistes: «Il a quand même fallu que Sarkozy descende dans le RER A pour que Jean-Paul Huchon réagisse et lance son plan de mobilisation à 18 milliards d'euros.» Chez Huchon, on se veut serein. Une fois l'élection remportée, «l'Etat devra bien plier».
Mais pourquoi ne pas être passé en force plus tôt? Un géographe explique: «La droite n'était pas et n'est toujours pas unie derrière Christian Blanc. Huchon aurait pu s'allier, peut-être avec le préfet de région Canepa, au moins avec la droite constructive, les Carrez, Karoutchi, Braye, Pinte ou Dallier, désemparés par l'immobilisme des dernières années. Mais il n'a pas su manœuvrer et fissurer le front de droite. Et aujourd'hui, c'est Christian Blanc qui se met les élus de gauche dans la poche, de Braouezec (Saint-Denis) à Dilain (Clichy-sous-Bois).»
Le bon gestionnaire serait un piètre tacticien. Sur les tarifs, il se fait bousculer par l'UMP et par Valérie Pécresse qui promet un «pass Navigo intelligent» qui calculera les tarifs non pas en fonction de la zone d'habitation mais des kilomètres parcourus et du confort des lignes empruntées.
Car comment justifier que ceux qui habitent le plus loin soient ceux qui payent le plus cher tout en étant les plus mal desservis? Le président de Région en convient, qui se moque d'Europe Ecologie et de sa proposition de tarif unique: «Ça coûte très très cher. Et où mettra-t-on tous ceux qui se précipiteront dans des métros déjà surchargés? De toute façon, les gens ne parlent pas des tarifs. Ce qu'ils veulent, ce sont des trains qui arrivent à l'heure.»
Le président poursuit: «Entre 2005 et 2009, les hausses de tarif ont été limitées à l'inflation. Nous avons instauré la gratuité des transports pour les allocataires du RSA sous conditions de ressources. Et nous avons supprimé deux zones de carte orange. Ce n'est quand même pas rien!»
Les électeurs semblent l'entendre puisque les derniers sondages le placent en tête des intentions de vote. Surtout, Jean-Paul Huchon est resté très proche des Verts. Et entre les deux tours, c'est ce ticket-là qui devrait faire la différence.