Identité et orientation sexuelles Les manuels de la discorde

Publié le par desirsdavenirparis5

 

D'aprés : Le Quotidien du Médecin 05/09/2011  

Quatre-vingt députés UMP ont demandé au ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, le retrait des nouveaux manuels scolaires de 1ère qui évoquent la théorie du genre. Ils déplorent le caractère selon eux non scientifique de ces écrits, pourtant en droite ligne du programme officiel.

LA DEMANDE des parlementaires, qui représente près du quart des 344 députés UMP, fait écho aux critiques exprimées, au printemps, par la direction de l’enseignement catholique. Dans une lettre au ministre, ils estiment que ces manuels de SVT (Sciences et vie de la terre) de classe de 1ère font référence à « la théorie du genre sexuel ». « Selon cette théorie, les personnes ne sont plus définies comme hommes et femmes mais comme pratiquants de certaines formes de sexualités : homosexuels, hétérosexuels, bisexuels, transsexuels », écrivent-ils. Il s’agit, selon eux, d’une théorie philosophique et sociologique qui n’est pas scientifique. C’est aussi l’avis de Familles de France, dont le président, le Pr Henri Joyeux, a écrit fin juillet au président de la République. L’association Paroles de Catholiques estime de son côté qu’il « peut être utile pour la culture générale des lycéens qu’ils soient informés » de l’existence de la théorie du genre, mais qu’« il y a une mystification et une malhonnêteté à la présenter dans un cours de biologie ».

Le manuel publié par Hachette indique notamment que le sexe, « c’est à la fois le sexe chromosomique, le sexe différencié et l’identité sexuelle. Cette dernière est "déterminée par la perception subjective que l’on a de son propre sexe et de son orientation sexuelle" ». Les députés - conduits par Richard Maillé, député des Bouches-du-Rhône, et parmi lesquels figure l’urologue Bernard Debré - concluent à l’adresse de Luc Chatel : « Nous comptons sur votre action afin de retirer des lycées les manuels qui présentent cette théorie ». L’UNSA-Éducation, deuxième fédération syndicale du monde éducatif, s’est dite indignée par cette « démarche dogmatique » dont le but est d’« imposer une conception aux antipodes de ce que reconnaît le droit français en termes de respect – et non de simple tolérance – de l’orientation sexuelle de chaque individu ». La fédération estime que les parlementaires n’ont « manifestement pas lu » le manuel de l’éditeur qu’ils critiquent le plus, et appelle à le consulter, via un spécimen accessible en ligne (http://is.gd/glafMW).

Comprendre la complexité.

« Je ne suis pas étonné par cette polémique », commente pour« le Quotidien » Aurélien Lubienski, docteur en psychologie clinique et enseignant à l’université de Caen. Le chercheur, dont la thèse portait sur l’identité sexuelle, rappelle qu’une controverse de même teneur avait eu lieu, en 2010, avec le « Baiser de la Lune », un court-métrage d’animation écrit et réalisé par Sébastien Watel. Ce film, dans lequel deux poissons tombaient amoureux l’un de l’autre, devait être diffusé en classe de CM1 et CM2 dans le cadre de la prévention contre les discriminations et l’homophobie. Mais face à l’indignation d’une partie de la classe politique et d’associations d’obédience catholique, le ministre de l’Éducation a renoncé à ce projet.

« Ce que je trouve plus surprenant, voire inquiétant, c’est la façon dont le politique vient s’ingérer dans les contenus de l’enseignement laïc », regrette Aurélien Lubienski. Il y a pourtant matière à se réjouir « de cette nouveauté dans les manuels scolaires », ajoute-t-il. « C’est une avancée. Je pense qu’il est important de fournir aux lycéens, en pleine période de construction identitaire, des clés pour penser la complexité de l’identité sexuelle autrement que par le recours à des stéréotypes qui sont source de violence. On sait aussi qu’à cet âge-là, le taux de suicides et de tentatives de suicide chez les jeunes homosexuels est complètement disproportionné par rapport à la moyenne générale. »

Devenir homme ou femme.

Dans une circulaire du 30 septembre 2010, le ministère indiquait que les programmes de SVT de première devaient comporter un chapitre intitulé « Devenir homme ou femme ». « Si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée », précisait la circulaire. Pour Aurélien Lubienski, le titre du programme de ces manuels est « évocateur ». En devenant homme ou femme, « on considère bien que ce n’est pas une donnée. L’identité sexuelle, c’est la façon dont une personne va se reconnaître elle-même comme homme ou femme avec ses qualités masculines ou féminines, dans une certaine société donnée et à une époque donnée ». Certes, le chercheur reconnaît qu’« il n’y a pas un accord complet sur cette question mais c’est le signe qu’il y a matière à penser ! Les gender studies (études de genre) relèvent d’un concept et d’un champ disciplinaire qui touche des pans entiers de la recherche universitaire, autant les sciences dures que les sciences humaines. À mon point de vue, cela mérite bien d’un ou deux paragraphes dans un manuel scolaire », conclut-il.

Le Dr Sylvain Berdah, pédopsychiatre à l’hôpital Robert Ballanger d’Aulnay-sous-Bois (93) estime quant à lui qu’« il ne faut pas jouer sur les mots. On naît garçon ou fille mais l’identité sexuée, ce à quoi on souhaite s’identifier, c’est autre chose. Il y a de nombreux déterminants que l’on ignore encore. Je crois que les jeunes le comprennent très bien et qu’il est important de le dire, notamment pour faire cesser les discriminations contre les homosexuels ».

› STÉPHANIE HASENDAHL

Publié dans Santé-Sciences

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