Dix ans de révolutions réussies (ou pas)

Publié le par desirsdavenirparis5

2000-2010 : une rétrospective NOUVELOBS.COM | 21.12.2009 | 16:14

Pendant la décennie 2000-2010, certains peuples ont tenté de faire basculer leur régime vers la démocratie sans un coup de feu. Avec plus ou moins de réussite, des milliers d'hommes et de femmes en Ukraine, en Iran, au Tibet et dans bien d'autres pays se sont opposé sans violence à des dirigeants autoritaires, corrompus, et souvent au service d'une puissance étrangère. Retour sur dix années de révolutions.

  Le bilan des révolutions de la décennie est plus que mitigé. Les peuples iraniens, tibétains, birmans, palestiniens et bélarusses ont été durement réprimés. Et bien que d'autres, en Géorgie, en Bolivie ou au Liban, semblent avoir atteint leur objectif premier, les espoirs sont minces notamment pour les Ukrainiens et les Kirghizes, tant les réformes et la stabilité tardent à venir.


La révolution verte réprimée en Iran

Des femmes témoignent leur soutien à l'opposition iranienne lors d'une marche religieuse aux alentours de Téhéran (AFP) Lorsqu'ils sont descendus dans la rue, les manifestants iraniens n'aspiraient pas nécessairement à un changement intégral de leur régime. Juste à quelques réformes. Après la réélection de Mahmoud Ahmadinejad à la tête du pays au premier tour avec 62,63% des voix le 12 juin 2009, des centaines de milliers d'Iraniens ont suivi dans la rue les partisans (habillés de vert) de Mir Hossein Moussavi, le candidat d'opposition, pour contester les résultats. Malgré une répression sans complexes qui a fait des dizaines de morts, et des procès expéditifs pour les manifestants, la révolte n'a pas cessé depuis six mois. Le régime des mollahs, qui a fait le ménage dans son gouvernement en licenciant les quelques voix dissonantes (celles qui acceptaient l'idée de réformes éventuelles), contrôle le pays avec fermeté. La révolution n'a donc pas (encore?) eu lieu dans un pays dont les dirigeants sont largement suspectés par la communauté internationale de vouloir développer l'arme nucléaire et qui ont juré de rayer de la carte leur voisin israélien.

La seconde intifada

Une femme en Palestine (AFP) Les Palestiniens n'ont pas attendus une révolution iranienne pour tenter de faire avancer leur condition. De 2000 à 2004, un bon nombre d'entre eux ont participé à la seconde intifada. Ce n'est pas une révolution au sens stricte, puisque ce "soulèvement" (intifada en arabe) n'est pas dirigé contre le pouvoir Palestinien mais contre Israël. Le peuple palestinien ne se bat pas encore pour la démocratie mais pour la création d'un Etat. La "guerre des pierres", à la fois révolte populaire et vague d'attentats djihadistes, a repris en septembre 2000 (après huit ans de négociations de paix infructueuses), en réaction à la visite d'Ariel Sharon (qui est devenu Premier ministre israélien quelques mois plus tard), sur l'esplanade des mosquées de Jérusalem. Pendant près de quatre ans, en réponse aux attentats contre Israël, Tsahal (l'armée israélienne) a mené des opérations dans la bande de Gaza, en Cisjordanie, et contre l'armée syrienne au Liban. 5.500 palestiniens, plus de 1.000 israéliens, et plus de 60 étrangers sont morts pendant les conflits entre 2000 et 2006. L'intifada a accouché de deux guerres. La guerre libano-israélienne de 2006 et l'invasion de la bande de Gaza fin 2008. La Palestine n'est toujours pas un Etat fin 2009, et l'autorité palestinienne est plus divisée que jamais, entre le Hamas dans la bande de Gaza en état de siège, et le Fatah en Cisjordanie. Les négociations de paix n'ont toujours pas repris.

La révolte safran en Birmanie

Une manifestation des bonzes birmans (AFP) La situation stagne aussi au Myanmar, depuis la révolte réprimée des bonzes birmans, qui en réaction à l'augmentation massive du prix des carburants et des transports, ont manifesté par milliers contre la junte militaire au pouvoir en automne 2007. A Rangoun, les forces de sécurité n'ont pas hésité à tirer sur la foule pacifiste, faisant des dizaines de morts. Depuis la tuerie, plusieurs monastères ont été fermés, les moines sont traumatisés, la figure d'opposition et prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi est toujours assignée à résidence, et la population fait face aux crises économiques et aux ouragans (Nargis, 100.000 morts) sans l'aide humanitaire internationale, interdite par la junte. Malgré les condamnations de la communauté internationale, la situation ne bouge pas pour le peuple Birman, qui ne tire aucun bénéfice des ressources en hydrocarbures du pays, exploitées notamment par Total, dans des conditions de travail pas toujours très respectueuses de la dignité humaine.

La révolution des moines tibétains

Des moines tibétains en exil au Népal (Reuters) La situation n'a pas beaucoup plus évolué au Tibet, depuis les évènements de mars 2008. Les Tibétains ont manifesté par milliers pour défendre leur culture effacée par la politique de sinisation engagée par Pékin depuis l'annexion de leur pays, cinquante-sept ans plus tôt. Sans parti, sans armes, ils ont protesté contre l'interdiction de pratiquer leur religion et leur langue et ont réclamé la libération des moines emprisonnés un an plus tôt pour avoir célébrer le prix Nobel remis au Dalaï Lama. Ils se sont opposés à la logique purement mercantile des Hans, l'ethnie majoritaire en Chine, qui depuis des années sont encouragés par le pouvoir centrale à venir coloniser le "toit du monde". Mais la réaction du régime Chinois a été sanglante, malgré les protestations de la communauté internationale. Des dizaines de tibétains sont morts, et leurs revendications sont restées lettre morte. A Paris on a beaucoup entendu parler des incidents qui ont entravé le chemin de la flamme olympique ou de la colère des dirigeants chinois face à l'attitude de la France envers le Dalaï Lama, mais la communauté internationale s'est trouvée bien impuissante face au géant économique asiatique, et le Tibet est toujours une province chinoise.

La révolution en jeans avortée

Le dispositive anti-opposition à Minsk (Sipa) Le Belarus n'est plus une république soviétique depuis 1990, mais sa dépendance économique et politique à l'égard de Moscou est une des sources des maux de son peuple. La fièvre démocratique a gagné le pays en 2006. Lors de l'élection présidentielle de mars, le dictateur Alexandre Loukachenko a été réélu dès le premier tour avec 83 % des voix. L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a dénoncé les arrestations et les menaces qui ont jalonné la campagne électorale, les opposants étant constamment intimidés. Le principal candidat d'opposition, Alexandre Milinkevitch, a alors appelé les partisans de la "Révolution en jeans" à des manifestations et un village de tentes a été dressé le 21 mars dans le centre de Minsk. Mais contrairement à ses voisins, le régime de la "dernière dictature d'Europe" a écrasé ses opposants, procédant à plus de 200 arrestations et détruisant tout simplement le village de tentes. Pas non plus de révolution pour les bélarusses, donc, qui n'ont pas réussis à reproduire l'exploit ukrainien, la Révolution orange, arrivée un an plus tôt.

La révolution orange ukrainienne : de l'espoir à la déception

Ioulia Timochenko et Victor Iouchtchenko (AFP) Les Ukrainiens ont réussi une belle révolution lorsqu'en novembre 2004, après une élection présidentielle frauduleuse, désireux de s'émanciper de Moscou, de la corruption et de l'autorité du régime dirigé par Viktor Ianoukovitch, ils sont descendus dans la rue pendant trois semaines. Menées par un leader charismatique pro-occidental, Viktor Iouchtchenko, des milliers de manifestants, habillés d'orange, en colère mais non-violents, ont obtenus l'organisation d'un troisième tour d'élection et l'ont choisi comme président. Mais en cette fin de décennie, le peuple ukrainien semble désenchanté. Viktor Iouchtchenko qui n'a pu faire disparaître la corruption ni inscrire l'Ukraine comme candidat à l'Union européenne n'est pas favori pour les élections présidentielle du 17 janvier prochain. Ironie du sort, le leader pro-russe Viktor Ianoukovitch, président désavoué lors de la Révolution orange, est en tête des sondages. Son retour au pouvoir réduirait la révolution à un simple interlude démocratique comparable à la révolution des Tulipes au Kirghizstan.

De la révolution des Tulipes au coup d'état

Une jeune Kirghize lors de la revolution des tulipes (AFP) L'espoir a duré beaucoup moins longtemps au Kirghizstan qu'en Ukraine. Le soulèvement populaire ayant entraîné en mars 2005 la fuite du dirigeant kirghize Askar Akaïev et la nomination par le parlement du leader de l'opposition, Kourmanbek Bakaïev, ressemble plus à un coup d'état qu'à une révolution. Bien que 15.000 manifestants l'aient aidé sans arme à prendre d'assaut le palais présidentiel après des fraudes aux élections législatives, l'homme le plus riche du pays s'est vite retrouvé incapable de gouverner démocratiquement. Depuis son accession au pouvoir, le pays est instable, car aucune réforme n'a été faite. Pourtant le "révolutionnaire" a été réélu en juillet 2009 avec 90% des suffrages, une élection très critiquée par les observateurs internationaux. Le peuple kirghize ne profite toujours pas de l'exploitation des ressources minières du pays, comme celle de la mine de Kumtor, un des plus grands gisements d'or au monde.

De la révolution bolivarienne à la révolution indigéniste

Hugo Chavez, Raul Castro et Evo Morales (AFP) La répartition des richesses est justement un des moteurs des révolutions sud-américaines. La décennie a vu sur ce continent accéder au pouvoir, avec l'appui du peuple, deux contestataires charismatiques, Hugo Chavez au Venezuela (en 1998) et Evo Morales en Bolivie (en 2005). Le premier est militaire, le second est syndicaliste et d'origine indienne. Ils défendent tous deux les classes populaires, une meilleur répartition des richesses (par la réforme agraire), la réappropriation des ressources naturelles (contre les multinationales étrangères). S'appuyant sur de très importantes réserves en hydrocarbures, ils remettent en cause des accords de libre échange proposés par les Etats-Unis (ALCA). Ils tentent de créer des institutions propres à l'Amérique Latine dans le domaine commercial (TCP), monétaire ("Banque du Sud") ou militaire (au sein de l'UNASUR, sorte d'équivalent à l'Union européenne à ses débuts) avec des gouvernements de gauche modérée comme au Brésil ou au Chili et des partenaires idéologiques, comme Cuba. En décembre 2009 Evo Morales a été réélu pour un second mandat, preuve que les réformes révolutionnaires n'en sont qu'au commencement. L'Amérique du sud bénéficie cependant d'une baisse des tensions et de l'engagement américain.

La révolution des cèdres au Liban

Lors de l'assassinat de Rafiq Hariri (AFP) Le Liban, pays multiculturel au croisement de l'orient, de l'occident, et du moyen orient, pâti de l'ingérence des grandes puissances. En 2005, son peuple s'est opposé à cette ingérence. Un millions de Libanais, druzes, chrétiens et sunnites ont défilés dans la rue le 14 mars 2005, un mois après la mort du Premier ministre Rafiq Hariri. Ils réclamaient la vérité sur son assassinat et la démission des chefs libanais pro-syriens tenus pour responsables. De cette union s'est affirmée contre le Hezbollah et ses alliés une majorité anti-syriens qui a obtenu le retrait des troupes syriennes dès avril 2005. Mais la révolution des Cèdres n'a pas arrêté immédiatement la vague d'assassinats ciblés des membres du gouvernement. Le Hezbollah a conservé un bras armé qui est entré en guerre avec Israël en juillet 2006 et le pays, au cœur d'une zone conflictuelle, peine à trouver une stabilité politique malgré la volonté de son peuple. Cependant le Liban représente toujours un espoir démocratique dans une région sous haute tension.

De la révolution des roses à la guerre-éclair en Géorgie

Mikhail Saakashvili lors de son election en 2004 (Sipa) Qualifiée de "fleuron de la démocratie" (par Georges Bush, certes), la Géorgie porte également en elle de nombreux espoirs pour sa région, puisqu'elle a initié les révolutions de couleurs. A la suite d'irrégularités flagrantes lors des élections législatives du 2 novembre 2003, les Géorgiens des quatre coins du pays sont descendus dans la rue pour contester les résultats. Trois semaines plus tard, ils étaient 100.000 à Tbilissi, arborant leur symbole, les roses. Soutenus par la Garde nationale, ils ont investis le siège de la présidence et le parlement sans que le régime n'emploie les armes. Le lendemain, le président Edouard Chevardnadzé avait démissionné. Quarante-cinq jours plus tard, la révolution des roses triomphait, avec l'élection de Mikhaïl Saakachvili à la tête du pays.
Depuis, la guerre-éclair russo-géorgienne d'août 2008 (qui a abouti à l'indépendance de l'Ossétie du sud et de l'Abkhazie, deux provinces géorgiennes), a renforcé le soutien de la communauté internationale au leader de la révolution des roses. Mais fin 2009 la non-reconnaissance quasi unanime de l'indépendance de ces provinces majoritairement russophones n'a toujours pas permis de débloquer la situation issue du conflit, et l'ancien leader de la révolution des roses, mis en cause pour sa gestion de la guerre, doit aujourd'hui faire face à une contestation grandissante dans son pays. Malgré cela, la transformation réalisée en Géorgie reste un exemple de révolution réussie pour de nombreux pays en mal de démocratie, d'indépendance, de droits de l'homme ou de prospérité économique.

(Donald Hebert - Nouvelobs.com)
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