Cette très chère Arabie qui inquiète Obama

Publié le par desirsdavenirparis5

"La liste des pays arabo-musulmans en crise, avec des chefs d'Etat en sursis, va bientôt s'allonger", pronostique l'un des collaborateurs d'Alain Juppé. Et d'en donner pour preuve les confidences en ce sens de certains proches de Barack Obama, relatées dans divers télégrammes adressés à Paris par l'ambassade de France. Autre signe que cette inquiétude n'est pas une vue de l'esprit, la tournée que vient d'accomplir dans sept Etats du Proche-Orient, Mike Mullen, patron des armées US, en compagnie de deux généraux et d'un amiral.
 
De passage dans le sultanat d'Oman, ce quatuor d'étoilés en a même profité pour "inviter" le général Kayani, chef d'état-major pakistanais, et plusieurs de ses généraux à venir s'informer  de ce que la Grande Amérique attend d'eux.

Très grand et tout petit roi

Aux Etats-unis, cela s'appelle la "diplomatie armée", et, à en croire l'ambassade de France, Mike Mullen est aujourd'hui bien plus puissant que Robert Gates, le chef du Pentagone, qui va bientôt prendre sa retraite, ou que Hillary Clinton.
 
C'est aux frontières de l'Arabie Saoudite que se déroulent aujourd'hui les manifestations les plus dangereuses. Au Yemen, où le président Saleh résiste mais paraît en sursis, ainsi qu'à Bahrein, une île et une place financière reliée à l'Arabie par un pont de 25km. Là où règne le roi sunnite Hamad al-Khalifa sur une population de 700 000 habitants à 70% chiite et hostile. Un détail en passant : des CRS français ont été chargés de former les unités anti-émeutes du royaume, et, selon l'hebdo US "Defense News", trois experts du GIGN forment des officiers de l'armée au "contrôle des foules".
 
Royaume blindé américain

Le 23 février dernier, le roi Abdallah d'Arabie Saoudite, 86 ans, malade et en convalescence - autre source d'inquiétude pour les Américains -, est revenu du Maroc pour recevoir son protégé, le petit roi de Bahrein, dont le trône est menacé par ses opposants chiites. Mais pas question d'envoyer l'armée saoudienne mettre ces gens au pas. Lors d'une communication téléphonique, Obama l'a interdit à Abdallah, et il ne s'en est pas caché.

Mieux vaut éviter, selon le président US, de provoquer d'autres explosions au sein des communautés chiites dans plusieurs Etats du Golfe. La diplomatie armée n'interdit pas de se montrer prudent.

Vingt-quatre heures après l'entretien des deux rois, Mike Mullen, ses deux généraux et son amiral atterrissaient à Bahrein et prouvaient à quel point Washington tient à "cette petite île à majorité chiite qui fait face à un grand Iran, très chiite lui aussi", selon la formule d'un diplomate français.
 
Bahrein héberge déjà deux implantations américaines "stratégiques" : le QG de la Ve flotte (base navale, 2 500 militaires) et un état-major de l'US Central Command. Cela ne pouvait suffire à ces gourmands du Pentagone. Mike Mullen a ainsi installé un autre quartier général, celui des Marine Corps, et prévu les constructions qui abriteront ces quelque 160 officiers et sous-officiers.
 
Cette diplomatie armée n'empêche pas les bonnes manières. A la demande d'Obama, Mike Mullen a fait savoir aux monarchies du Golfe, y compris à celles d'Arabie Saoudite et de Bahrein, que le soutien américain leur était acquis, mais qu'il fallait évoluer et, par exemple, discuter avec leurs opposants puis trouver des compromis.

C'est la condition nécessaire et suffisante invoquée par les Etats-Unis pour sauver l'essentiel : les sources pétrolières, les voies de transit, la coopération antiterroriste, etc.

Le roi et les princes saoudiens vont-ils se montrer sensibles aux injonctions de leurs protecteurs américains ? Pas sûr. La semaine dernière, le ministre de l'Intérieur a fait savoir que les manifestations étaient "contraires à la charia". Déjà, dans plusieurs villes, de petits rassemblements ont été réprimés, notamment à l'issue de la prière du vendredi, à la sortie des mosquées. Et, surtout, les 15% de chiites qui vivent dans l'est du pays, où abonde le pétrole, sont toujours considérés comme des "ennemis de l'intérieur".
 
Avec cette menace à l'esprit, et pour éviter des attentats à demeure, car Ben Laden est tout de même un enfant du pays, certains princes saoudiens ont financé quelques groupes terroristes. Dans l'espoir qu'ils aillent jouer ailleurs.
Claude Angeli

Le canard enchainé, 9 mars 2011

Publié dans Proche-Orient

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