Affaire dr Bonnemaison : "Un médecin ne doit pas décider seul"

Publié le par desirsdavenirparis5

Alors qu’une pétition circule pour défendre le dr Bonnemaison, mis en examen <http://www.lavie.fr/actualite/france/bayonne-le-dr-bonnemaison-mis-en-examen-pour-euthanasie-12-08-2011-18998_4.php>  pour avoir injecté une substance mortelle à quatre malades à l’hôpital de Bayonne, le Pr Régis Aubry, président de l’Observatoire  national de la fin de vie, réagit pour La Vie.  L’Observatoire a été créé en 2010 afin d’apporter un éclairage rigoureux sur les pratiques d’accompagnement  en fin de vie.

Dans l’affaire de Bayonne, peut-on parler d’euthanasie ?

On ne connaît pas les circonstances exactes de ces décès et il est toujours difficile de réagir « à chaud » sur des affaires aussi délicates. Mais il semble aujourd’hui que le médecin aurait injecté un produit létal à des personnes âgées, certes en fin de vie, mais qui n’avaient pas demandé à mourir. Il faut être clair et se méfier des amalgames. S’il n’existe pas de demande de la personne, il ne s’agit pas d’euthanasie mais d’un homicide par empoisonnement : la notion d’euthanasie ne s’applique pas aux cas où les gens ne demandent rien. D’ailleurs, le débat en France ne porte que sur une seule question : faut-il permettre à des tiers, médecins ou non, d’abréger la vie de personnes qui le demandent parce qu’elles ne trouvent plus de sens à leur existence ? Les partisans ne l’euthanasie ne réclament pas que l’on accélère la mort des personnes qui ne le souhaitent pas.

Cela veut-il dire que, pour vous, la demande du malade pourrait justifier le passage à l’acte du médecin ?

Non, car l’on sait d’expérience qu’une demande d’euthanasie, dans plus de 95% des cas, ne signifie pas que la personne veut mourir. Il peut s’agir d’un appel à l’aide, causé par la douleur, l’angoisse, la souffrance psychologique face à un corps qui se transforme et se fragilise… Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ces demandes sont toujours légitimes et qu’elles doivent toujours être prises au sérieux, avec une prise en charge adaptée, de la douleur notamment. C’est ce que dit la loi Léonetti de 2005 qui interdit l’acharnement thérapeutique et autorise à arrêter les traitements de façon très encadrée. Elle n’autorise pas, en revanche, l’injection d’une substance mortelle.

Ces mesures de limitation des traitements auraient-elles été adaptées dans le cas de ces personnes âgées ?

Aucune loi n’empêchera les questions autour de la fin de vie. En revanche, la loi Léonetti apporte un élément essentiel : ce n’est plus le médecin qui décide seul de ce qui est bon pour son malade. Ce n’est pas parce qu’il a le pouvoir de prolonger la vie qu’il peut le faire sans l’assentiment de la personne. Le droit de chacun à décider de continuer ou non un traitement s’inscrit dans la droite ligne de la déclaration universelle des droits de l’Homme et de protection de la personne. Mais pour les médecins, c’est un changement de paradigme. Et il faut du temps pour que les mentalités changent. Cela ne veut pas dire que l’on ne doive pas engager un débat autour d’une légalisation de l’euthanasie. Mais un tel débat ne peut pas être mené en quelques semaines. On touche ici à des questions qui concernent la vie et la mort, et cela mérite un débat apaisé, reposant sur des études rigoureuses. C’est précisément pour mener ce type d’études que l’Observatoire national de la fin de vie a été créé.

Etes-vous surpris que le médecin ait été dénoncé par les soignants de son propre service ?

Il y a en France une tradition médicale marquée par une forte hiérarchisation qui n’existe pas dans d’autres pays et qui n’a pas lieu d’être. Cette tradition pousse certains praticiens à agir seuls et cette solitude entraîne d’ailleurs pour eux beaucoup de souffrance au travail, dont témoigne peut-être aussi cette affaire. Dans cette équipe, manifestement, les décisions n’étaient pas collégiales. Or, le médecin n’est pas celui qui connaît le mieux le malade. Ce que peut dire un infirmier ou un aide-soignant d’une personne en fin de vie est souvent plus important que ce qu’en sait le médecin car la relation n’est pas la même : un médecin ne doit pas agir seul dans ce domaine. Toute décision d’arrêt des traitements doit être prise en équipe, comme l’impose d’ailleurs la loi qui insiste sur la collégialité.

Six ans après la loi de 2005, des actes tels que ceux de ce médecin sont-ils courants selon vous ?

Il est difficile de répondre car nous manquons de données. C’est pourquoi l’Observatoire de la fin de vie a mis en place avec l’Ined (Institut national des études démographiques) une vaste enquête anonymisée dans les hôpitaux, dont le but est de mieux comprendre la réalité, pour sortir des a priori et des présupposés. Les données sont en cours de traitement et nous publierons les premiers résultats à la fin de l’année.

L’unité dans laquelle s’est déroulée les faits dépendait d’un service d’urgences. Une personne âgée en fin de vie a-t-elle sa place aux urgences d’un hôpital ?

Non bien sûr. La vraie question posée par cette affaire est d’ailleurs peut-être moins celle de l’euthanasie que celle de la fin de vie dans notre société. Comment se fait-il qu’un nombre important de personnes âgées arrivent aux urgences pour y décéder ?  Cette médicalisation du mourir pose question, pas tant à la médecine qu’à notre société toute entière. Pour tenter d’y remédier, nous expérimentons dans les hôpitaux de trois régions des dispositifs de prise en charge différente centrés sur l’accompagnement personnel, avec des personnels dont la tache est de répondre aux besoins non médicaux des personnes en fin de vie. Un monsieur souhaitait ainsi jouer aux cartes avant de mourir. Ce qui paraît en effet plus important à ce stade que de vérifier ses numérations globulaires.

Une pétition circule pour défendre le médecin. Le débat sur la fin de vie devient très vite passionnel en France. Cela vous étonne-t-il ?

Dans notre société marquée par une forme d’utilitarisme parfois extrême, beaucoup souhaitent supprimer l’étape de la toute fin de vie qui n’a, pour eux, plus de sens. D’ailleurs, le médecin mis en cause dans cette affaire a expliqué aux enquêteurs que ses patients allaient « de toute façon mourir quelques minutes plus tard ». Il n’aurait donc fait « qu’accélérer » les choses. Je suis frappé de constater combien cette conviction qu’il faudrait « accélérer » la mort lorsque les traitements sont devenus inutiles, est partagée par un grand nombre de personnes. Or, je crois que cette étape difficile de la fin de vie est au contraire essentielle, utile.

Il est surprenant, voire choquant, d’entendre que l’agonie peut être utile. Que voulez-vous dire ?

Je comprends que cela puisse choquer car on confond trop souvent l’utile et le rentable, ce qui n’est pas la même chose. La fin de vie est utile car elle vient nous rappeler notre condition de mortel dans une société qui survalorise l’action et a du mal à appréhender sa finitude. Ceux qui ont accompagné un proche vers la mort savent que ces moments douloureux incitent à réfléchir à la valeur que l’on donne à la vie, et aussi à la place de la vulnérabilité et du grand âge. Si nous sommes capables d’accompagner les personnes les plus vulnérables de nos sociétés jusqu’à la mort, cela renforce notre démocratie

Justement, pour certains, accompagner les personnes en fin de vie, c’est les aider à mourir, leur éviter l’agonie...

A condition que le malade soit entouré et vive cette étape  dans une certaine quiétude, la fin de vie peut être une source de croissance, d’accomplissement pour celui qui part et pour ceux qui restent. Mais bien sûr, elle peut aussi ne pas l’être. Alors, faut-il une loi qui fixe une norme ? Peut-être. Mais l’essentiel n’est pas là : qu’est-ce qu’une société démocratique comme la nôtre est en capacité de proposer à ceux de ses citoyens confrontés à la fin de leur vie, à leur propre fragilité et à celle de leurs proches ? J’aimerais que cet aspect s’invite dans le débat de société qui me semble trop souvent en rester à une opposition stérile entre « pour » et « contre l’euthanasie.


<
http://www.lavie.fr/actualite/societe/affaire-dr-bonnemaison-un-medecin-ne-doit-pas-decider-seul-14-08-2011-19002_7.php>
propos recueillis par Claire Legros - publié le 14/08/2011     

Publié dans Santé-Sciences

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article