A Davos, l'Occident dépassé par le dynamisme des émergents

Publié le par desirsdavenirparis5




e quarantième forum économique mondial qui s'est achevé à Davos (Suisse), dimanche 31 janvier, entendait "repenser, redessiner, reconstruire le monde". Objectif non atteint. En revanche, l'état des lieux qui s'est dégagé de ces quatre jours de rencontres est saisissant. Premier constat : quinze mois après le passage du cyclone Lehman Brothers, certaines régions restent dévastées (l'Europe et les Etats-Unis), mais d'autres sont reparties comme si de rien n'était : le Brésil et surtout l'Asie, tirée par la Chine.


En 2009, les trois quarts de la croissance mondiale ont été réalisés entre Bombay et Shanghaï. En 1990, la Chine, l'Inde, la Corée du Sud et l'Indonésie étaient à elles quatre moins riches que l'Italie. Aujourd'hui, la Chine a dépassé l'Allemagne, et les trois autres pèsent, ensemble, autant que la France. Le gouvernement indien a bon espoir de retrouver dès cette année les 9 % de croissance auxquels le pays est habitué. Avec 7 % de croissance seulement, 2009 n'aura été qu'un mauvais souvenir ! Et dans l'industrie, les chiffres sont encore plus impressionnants. A Delhi ou à Canton (comme à Rio), des progressions de 20 % ne sont pas exceptionnelles.

Larry Summers, le conseiller de Barack Obama, l'a reconnu : l'événement le plus important de ce quart de siècle ne sera ni la crise financière ni la chute du mur de Berlin, mais l'enrichissement extrêmement rapide d'une partie du monde. Il aura fallu moins de trente ans aux Chinois pour entrer de plain-pied dans la société de consommation. Un phénomène qui s'était étalé sur un siècle et demi en Europe et une soixantaine d'années aux Etats-Unis. Principal défi pour l'Asie en développement : rendre la croissance plus équitable en misant davantage sur le consommateur chinois, thaïlandais ou vietnamien que sur l'américain.

Les Occidentaux ont beau, officiellement, se féliciter de ce dynamisme, l'optimisme des élites asiatiques n'a d'égal que la morosité des dirigeants américains et européens. Signe que la crise est loin d'être terminée : Dominique Strauss-Kahn, directeur général du Fonds monétaire international, juge qu'il ne faut surtout pas mettre un terme aux plans de relance prématurément, même si les déficits publics risquent de poser de sérieux problèmes. L'effondrement du système financier n'a été évité qu'au prix d'un engagement public d'une ampleur exceptionnelle : environ 25 % du PIB y ont été consacrés des deux côtés de l'Atlantique, selon Jean-Claude Trichet.

Les experts s'opposent sur la façon de rendre le système plus résilient, mais le président de la Banque centrale européenne et le patron du FMI ont une certitude : les règles doivent être globales, comme s'y est engagé le G20. "J'applaudis les initiatives américaines ou britanniques, mais attention à ne pas prendre des mesures nationales qui créent des problèmes par ailleurs", résume M. Strauss-Kahn. Mais Christine Lagarde l'a reconnu : "La pression politique est trop forte."

L'efficacité à venir du G20 reste une interrogation majeure. Les Etats-Unis semblent vouloir faire cavalier seul. C'est un autre constat, inquiétant, de Davos. Le gouvernement Obama est traumatisé par la déliquescence de la classe moyenne. 20 % des hommes âgés de 25 à 54 ans n'ont pas de travail. Un chiffre rarement atteint. Désormais, M. Obama n'a qu'une priorité : redonner confiance à la classe moyenne. La gouvernance mondiale passe après. Larry Summers a été clair. "Nous ne verrons jamais la poursuite de l'intégration mondiale si nous avons partout la perception d'une désintégration locale", a-t-il analysé avant d'être encore plus explicite : "Notre capacité à satisfaire nos obligations mondiales dépendra de notre capacité à satisfaire nos concitoyens."

Des propos finalement pas très éloignés de ceux de Bush père, expliquant que le mode de vie des Américains n'était pas négociable. Ni l'adoption d'une loi sur l'énergie ni la conclusion des accords commerciaux de Doha ne font partie des priorités de la Maison Blanche.

Empêtrée dans les déficits grecs, handicapée par l'absence de vision et de volontarisme politique, l'Union européenne, qui a pourtant une carte à jouer, ne compte pas.
Le gouvernement indien, qui s'est récemment interrogé sur les enjeux des décennies à venir, s'est vu conseiller par un groupe d'experts d'ignorer purement et simplement les prétentions européennes à être un "world player".

Dix ans après s'être engagée à être l'économie la plus compétitive du monde... en 2010, l'Europe n'est au rendez-vous dans le domaine ni politique ni économique. Alors que le chômage de masse inquiète la plupart des décideurs, le salut ne peut venir que de la technologie. L'appétence du consommateur reste intacte, la médiatisation mondiale du dernier gadget d'Apple le prouve, et, paradoxalement, l'échec de Copenhague rend plus nécessaire que jamais la recherche d'énergies de substitution aux énergies fossiles. Mais, là encore, entre la Chine, qui aurait investi plus de 400 milliards de dollars en 2009 dans les énergies propres, et les Etats-Unis, l'Europe aura bien du mal à trouver sa place.


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Courriel : lemaitre@lemonde.fr.
Frédéric Lemaître (Rédaction en chef)
Article paru dans l'édition du 02.02.10 Analyse   par Frédéric Lemaître
LE MONDE | 01.02.10 | 13h18  •  Mis à jour le 01.02.10 | 13h18

Publié dans Capitalisme-crise- G20

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