Souriez, ce n'est pas la rentrée...
Il est loin le temps où Christine Lagarde «jubilait» à chaque bonne nouvelle économique. Au gouvernement, désormais, on fait plutôt profil bas en attendant de meilleurs lendemains. Même le chef de l'Etat a baissé le tonlors du sommet social du 1er juillet à l'Elysée. Car l'issue de la crise actuelle est impossible à prévoir. Tout ce que l'on sait, c'est qu'elle est loin d'être terminée, et que les mauvais chiffres du chômage et les plans sociaux continueront bien après que l'activité aura redémarré (dès 2010 ou bien après?)...

Autres mauvaises nouvelles de cette livraison pré-estivale de l'Insee : l'évolution du produit intérieur brut (la richesse créée) sera négative de 3% en 2009, du jamais vu depuis 1949. Elle sera pourtant plus modérée que chez nos voisins en raison de l'importance des transferts sociaux en France et d'une moins grande spécialisation de l'économie. L'Insee prévoit ainsi un effondrement historique du PIB en Allemagne (-6,9%) ou dans la zone euro (-5,2%). Idem au Japon (-7,2%) et aux Etats-Unis (-3,4%). Enfin, le chômage devrait dépasser les 10% à la fin de l'année.
La production industrielle montre des signes de frémissement encore bien ténus. «Le terme qui convient aujourd'hui est bien "rebond" et non "reprise"», commente ainsi Alexandre Law, chef économiste de Xerfi. «Sur les trois derniers mois, le glissement sur un an de l'activité industrielle reste catastrophique à -16,3%.» En clair, l'activité n'ayant jamais été aussi atone, il était difficile d'aller plus bas... Les pages des carnets de commandes sont blanches, les machines sous-utilisées. Des sources d'inquiétude apparaissent. Par exemple la dégradation de l'activité dans les services à la personne, pourtant régulièrement présentés par le gouvernement comme un des secteurs porteurs de l'après-crise ...
Emploi : l'été de tous les dangers
Attention, l'été sera orageux sur le front social. La ministre de l'économie Christine Lagarde l'a admis le 27 juin, histoire de prévenir la foudre. «Si la situation économique ne se stabilise pas de manière plus durable, on aura effectivement des plans sociaux et des restructurations importantes» pendant «et à la sortie de l'été». Même si de nombreux licenciements collectifs ont été annoncés depuis l'automne dernier [cliquer ici pour consulter la carte Mediapart de la crise sociale], le pire semble encore à venir.
Les stocks d'intérimaires et de contrats courts type CDD ont été épuisés : les entreprises risquent désormais de«taper dans le dur», craint-on dans les états-majors syndicaux. Du côté de la CGT, de la CFDT ou de Solidaires, on s'organise d'ailleurs pour tenter de donner dès la rentrée plus de visibilité médiatique aux conflits locaux qui ne manqueront pas de surgir...

Les chiffres ravageurs des défaillances d'entreprises [ci-contre] laissent présager une rentrée difficile. Selon le cabinet spécialisé Altares, elles ont augmenté de 15% au deuxième trimestre par rapport à la même période en 2009 : en avril, mai et juin, 4600 entreprises ont été mises en redressement ou en liquidation judiciaire chaque mois. 160 par jour. Augure inquiétant pour l'emploi : les plus touchées sont les PME de taille moyenne, entre 100 et 200 salariés.
Le niveau élevé des défaillances s'explique en partie par la réticence des banques à accorder des prêts. Malgré les promesses de l'hiver, les établissements bancaires restent frileux : les actifs pourris, ceux qui ont précipité la crise, n'ont pas tous été expurgés du système financier. Selon la confédération patronale CGPME, 64% des PMEestiment avoir subi au cours des derniers mois «au moins une mesure de durcissement» de la part de leur établissement bancaire.
Au cours des prochains mois, une grande partie des destructions d'emplois passera de toute façon inaperçue. Les licenciements économiques (22.300 en mai dernier, contre 14.800 en mai 2008) ne représentent que 4% des inscriptions à Pôle emploi, environ un tiers de tous les licenciements. Les démissions négociées et autresruptures amiables (etc.) constituent une autre variable d'ajustement pour les entreprises en temps de crise. Mais elles sont beaucoup plus discrètes. Impossible de les évaluer...
Chômage : 2009, année catastrophe
Il s'est montré un peu trop franc, le nouveau ministre du travail, en évoquant le chiffre de 800.000 chômeurs en plus cette année. Xavier Darcos s'est vite fait retoquer par l'Elysée, qui lui a enjoint de publier un communiqué avec le secrétaire d'Etat à l'emploi, Laurent Wauquiez : officiellement, seuls 639.000 chômeurs supplémentaires en 2009 sont attendus par l'assurance-chômage (ce chiffre inclut toutes les catégories de chômeurs, et pas seulement les groupes A, B et C, qui comptabilisent les chômeurs en recherche d'emploi).
Un peu plus tôt, le secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, avait parlé d'un million de chômeurs. En tout état de cause, l'Insee parie sur un taux de chômage dépassant les 10% de la population active.
Premières cibles : les jeunes, et notamment les 650.000 nouveaux arrivants sur le marché du travail. La situation serait encore pire si les baby boomers n'étaient pas en train de quitter massivement le marché du travail.
Pôle emploi, déjà totalement débordé par l'afflux de chômeurs et désorganisé à cause d'une fusion Anpe-Unedic négociée au pire moment, s'attend à un afflux massif de nouveaux demandeurs d'emploi à la rentrée. Son patron, Christian Charpy, anticipe une fréquentation en hausse de 25% au mois de septembre par rapport à la rentrée dernière. Sera-t-il capable de faire face?
Visiblement, même le secrétaire d'Etat à l'emploi semble en douter. Vendredi, il a demandé au service public de l'emploi de dégager davantage de crédits pour la formation et la collecte d'offres d'emploi auprès des entreprises. Pôle emploi recrute actuellement 1840 collaborateurs et va confier 100.000 chômeurs aux opérateurs privés de placement. Mais pour quelle efficacité? A l'heure actuelle, aucun bilan de leur action n'existe. Une évaluation est bien en cours à l'Ecole d'économie de Paris. Ses résultats doivent être connus en septembre. Selon nos informations, elle conclut à une meilleure efficacité des parcours renforcés d'accompagnement des chômeurs siglés Pôle emploi... mais sa méthodologie est déjà vivement contestée.
Drôle de rentrée sociale...
Face à des syndicats désunis et conscients d'avoir perdu la première manche de la mobilisation sociale face au gouvernement, Nicolas Sarkozy bombe le torse avant l'été. Le 1er juillet, le chef de l'Etat n'a pas promis de nouvelles mesures sociales. Il s'en tient à ce qu'il avait annoncé en février aux partenaires sociaux : fonds d'indemnisation social pour financer la formation des salariés, prime de 500 euros pour les chômeurs en fin de droit – pour l'instant, l'Elysée ne peut dire à combien de Français elle a profité... et entrée en vigueur du RSA au mois de juillet.
Les partenaires sociaux, qui viennent d'achever des négociations sur l'emploi facilitant le recours au chômage partiel, ont été priés d'ouvrir de nouveaux chantiers, par exemple celui de la question des allègements de charges octroyés aux entreprises – débat à l'issue plus qu'incertaine car Medef et syndicats ne sont absolument pas d'accord. Cette rentrée sociale s'annonce décidément extrêmement déroutante. Si certains conflits sociaux durs pourraient émerger (comme à Continental ou New Fabris actuellement), elle risque d'être davantage marquée par deux chantiers estampillés Nicolas Sarkozy: les retraites et le grand emprunt, bombardé cause nationale de l'hiver 2009.