Pour un New Deal écologiste

Publié le par desirsdavenirparis5

"Printemps silencieux", de Rachel Carson et "Face à la crise : l'urgence écologiste", d'Alain Lipietz : pour un New Deal écologiste
LE MONDE DES LIVRES | 25.06.09 | 11h30  •  Mis à jour le 25.06.09 | 11h30

La crise a pu faire croire que le souci environnemental allait passer à l'arrière-plan. Il semble, au contraire, qu'il revient au coeur de l'agenda politique. Mais l'écologie peut se comprendre de plusieurs façons, et elle a une histoire qu'il est utile de redécouvrir.

La lecture du grand classique de Rachel Carson (1907-1964), Printemps silencieux, est à cet égard instructive. Ce best-seller mondial, publié aux Etats-Unis en 1950, a contribué à la prise de conscience publique des dégâts provoqués par les sociétés industrielles. L'écrivaine et biologiste marine décrit les conséquences funestes de l'usage massif du pesticide DTT sur l'écosystème et sur la santé humaine. Très documenté, le livre se clôt par un appel à quitter "l'autoroute" menant au saccage de la nature, et par cette leçon : "Vouloir "contrôler la nature" est une arrogante prétention, née d'une biologie et d'une philosophie qui sont encore à l'âge de Neandertal, au temps où l'on pouvait croire la nature destinée à satisfaire le bon plaisir de l'homme." Le livre, qui suscitera la polémique, conduira le président Kennedy à créer une commission d'enquête, qui confirmera ses analyses. La naissance de l'Agence de protection de l'environnement (EPA) sera aussi un effet de Printemps silencieux.

Dans sa préface publiée en 1994, l'ancien vice-président Al Gore revendique sa filiation avec Carson. S'il note l'impact positif du livre, il déplore aussi que la situation ait empiré. La responsabilité de lobbies industriels influents, mus par l'appât du profit, est engagée : "On a affaire à une politique du pire. Le système actuel est un pari faustien - nous sommes gagnants à court terme, au prix d'une tragédie à long terme." Et tout indique que ce court terme s'avérera "très court".

Quinze ans après, est-il permis d'espérer ? Pour Alain Lipietz, économiste et militant des Verts, nous sommes à la croisée des chemins. Le problème ultime de la crise actuelle n'est pas la finance, mais le fait que "l'économie mondiale produit trop pour trop de pauvres insolvables, et produit mal en faisant trop pression sur la Terre". Dans un entretien stimulant publié avec Alain Richard, il revient sur la crise de 1929, rappelant que les réponses qui lui furent apportées n'étaient pas toutes démocratiques et progressistes. La montée en puissance de l'Etat et de diverses sortes de "planisme" a même pu conduire au pire.

"BIFURCATION" CRUCIALE

Le propos vise une partie de la gauche, qui se dit antilibérale et étatiste. Lipietz avertit en effet que la droite, loin d'être par essence libérale, peut être dirigiste. Surtout, il souligne le risque de négliger la "bifurcation" cruciale : "il peut exister des planismes écologistes ou productivistes", et le libéralisme n'est pas toujours "l'ennemi principal". En outre, la gauche étatiste néglige que, entre l'Etat et le marché, il y a les associations, les coopératives, l'économie solidaire : là s'invente un nouveau modèle de société, privilégiant le lien social et la protection de la nature.

Aussi Lipietz met-il en garde contre les facilités d'une relance productiviste, d'un "New Deal tout court", qui, inéluctablement,"se cassera le nez sur la dimension écologique de la crise". Mais la "décroissance" n'est pas non plus la solution. La vraie question est de savoir ce qu'il faut faire décroître ou pas : le but est de promouvoir les activités qui diminuent la pression exercée sur la planète et qui améliorent la qualité de vie pour tous. Ce qui implique non pas la "fin du travail", mais l'essor d'une économie plus intensive en travail qualifié et plus économe en matières premières.

L'objectif de Lipietz est aussi de convaincre que l'écologie politique n'implique pas le retour à une triste austérité. Tandis que ni la décroissance ni le protectionnisme ne sont des idéaux - pas plus que la course au "m'as-tu-vu bling-bling" -, l'écologie promeut des finalités valables comme telles : la croissance du temps libre, un travail qualifié et épanouissant, le développement des relations amicales et amoureuses, la solidarité et la délibération collective. Ainsi, le New Deal écologiste visera à travailler moins et mieux, en réduisant les dépenses énergétiques et en consacrant le temps libéré à des activités culturelles ou associatives.

On pourrait certes préciser ici ou là les analyses historiques de Lipietz. Et rappeler notamment que le New Deal, contrairement à une idée reçue, n'était pas exempt de considérations environnementales : le gouvernement Roosevelt lança même une politique audacieuse de reboisement des forêts, de préservation des sols et de protection des consommateurs. Mais le fait que cet aspect de l'expérience américaine soit tombé dans l'oubli confirme l'intérêt de repenser, face à des menaces inédites, les conditions de ce "New Deal vert".


PRINTEMPS SILENCIEUX de Rachel Carson. Préface d'Al Gore, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-François Gravrand et Baptiste Lanaspeze. Ed. Wildproject, 286 p., 20 €.

FACE À LA CRISE : L'URGENCE ÉCOLOGISTE d'Alain Lipietz. Ed. Textuel, "Conversations pour demain", 142 p., 16 €.

On pourra lire aussi l'ouvrage collectif Non au capitalisme vert, Parangon, 125 p., 8 €.


Serge Audier
Article paru dans l'édition du 26.06.09 

Publié dans Ecologie-Environnement

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