La surcharge de travail des femmes africaines entrave le développement économique du continent

Publié le par desirsdavenirparis5

LE MONDE | 07.03.09 | 16h07  •  Mis à jour le 07.03.09 | 16h07
n nourrisson noué dans le dos, une bassine de manioc ou un fagot de bois maintenu sur la tête : les femmes africaines déambulent rarement les bras ballants. Si l'intensité de leur travail, aisément perceptible, relève de l'évidence, leur contribution à l'économie passe largement inaperçue. Ainsi, le taux d'activité des femmes africaines (62 %) est supérieur à celui qui prévaut en Europe (49 %). Mais, reléguées dans des activités informelles, voire non marchandes, et assignées aux tâches ménagères, elles ne pèsent guère dans les indicateurs qui reflètent l'état des sociétés et sont censés inspirer les politiques.
Un chercheur de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), Jacques Charmes, a entrepris depuis des années de lever le voile sur la réalité de l'emploi du temps des Africaines, en enquêtant minutieusement sur leurs activités quotidiennes. Afin de leur rendre justice et d'inciter à un partage plus équitable des tâches entre les sexes. Mais aussi pour montrer de quelle façon la surcharge de travail qui pèse sur les femmes compromet le développement économique.

On se doutait que les femmes africaines, comme d'autres, travaillaient davantage que les hommes. Grâce à M. Charmes, directeur du département société et santé de l'IRD, on sait que le fossé est à la fois énorme et variable selon les sociétés.

Ainsi, selon une enquête menée au Bénin, hommes et femmes passent autant de temps dans des activités économiques proprement dites. Mais si l'on tient compte des tâches domestiques, la durée du travail quotidien des Béninoises dépasse de plus de deux heures et demie celui de leurs compagnons. L'inégalité se creuse en particulier parce que les tâches vitales que sont le portage de l'eau et du bois incombent largement aux femmes. En comparaison, les sociétés sud-africaines et malgaches apparaissent moins inégalitaires. Le surcroît de travail des femmes n'y est "que" de 55 minutes. Il s'élève à 38 minutes en France.

Ces lourds déséquilibres ne sont pas seulement choquants, ils ont de lourdes conséquences économiques. Occupées à des activités sans salaire - elles aident aux récoltes que les hommes vendent ensuite -, elles sont en outre accaparées par des tâches domestiques telle la préparation des repas, le soin des enfants, des personnes âgées et des handicapés. " Ce double emploi du temps les empêche de consacrer plus de temps aux activités marchandes, plus productives, analyse Jacques Charmes. Ce qui explique le phénomène dit de "féminisation de la pauvreté"."

Dans les pays riches, l'entrée massive des femmes sur le marché du travail s'est accompagnée de la mécanisation de certaines corvées (électroménager) et de la socialisation d'autres (crèches). Evidemment, il n'en est rien dans les pays africains, où les tâches se cumulent.

A quoi sert-il d'étudier l'emploi du temps des femmes africaines ? " A faire prendre conscience aux hommes du fait que le travail des femmes est au moins aussi important que l'activité marchande dont ils ont le quasi-monopole", répond le chercheur. S'il pouvait être évalué totalement, le labeur féminin générerait une hausse de 50 % à 100 % du PIB, estime-t-il. Ainsi réévalué, le PIB " permettrait de rendre plus visible la contribution des femmes au bien-être général". Reflétant mieux la réalité, il expliquerait ce qui relève aujourd'hui du mystère pour l'observateur non averti venu des pays riches : comment des centaines de millions d'Africains parviennent à vivre avec moins de 2 dollars par jour.

Mais, pour l'heure, Jacques Charmes regrette que ses enquêtes, si elles alimentent les beaux tableaux statistiques de l'ONU, aient peu d'impact sur les décideurs politiques, et a fortiori sur la réalité. " Si le rôle clé de la scolarisation des femmes comme levier du développement est admis, peu d'actions portent sur leur emploi du temps, donnée pourtant centrale dans la recherche de l'égalité et de l'autonomisation", déplore-t-il.

La création de services publics permettant de prendre en charge les activités pesant sur les femmes (garde des enfants, soins aux malades) devrait être la première conséquence logique de cette prise de conscience. De même que la multiplication des points d'eau qui évitent la corvée des seaux. Dans un village malien a été mise en évidence la corrélation entre l'aménagement de bornes-fontaines et la diminution de la mortalité juvénile. Non pas pour des raisons sanitaires - la qualité de l'eau, mal stockée, restait déplorable - mais parce que les femmes ont gagné alors du temps pour prendre soin des bambins.


Philippe Bernard
Article paru dans l'édition du 08.03.09

Publié dans Femmes

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