ÉTATS-UNIS - Révolution dans les pratiques démocrates

Publié le par desirsdavenirparis5

Courrier international - n° 951 - 22 janv. 2009
ÉTATS-UNIS - Révolution dans les pratiques démocrates

Transformer le vaste réseau de bénévoles qui a contribué à son élection en une machine de guerre politique, tel est le défi du nouveau président américain. Ses objectifs : organiser un soutien populaire et, plus tard, se faire réélire. A lors que Barack Obama vient tout juste d’entrer en fonction, son équipe politique planifie une vaste opération de recrutement dans tout le pays. Il s’agit d’engager une armée d’organisateurs à plein temps qui auront pour mission de promouvoir le programme du nouveau président et de préparer sa réélection. Ce projet, désigné en interne sous le nom de “Barack Obama 2.0”, a pour but d’entretenir le réseau de ces millions d’Américains qui ont été mobilisés sur le terrain l’année dernière pour contribuer à l’élection d’Obama. Réseau qui constitue, de l’avis général, la plus puissante machine de guerre politique du pays. Ses organisateurs, et même certains républicains, reconnaissent que jamais une telle structure n’a été mise en place pour un président. Selon des sources bien informées, l’équipe d’Obama utiliserait notamment ce réseau pour faire pression sur les législateurs – en particulier les démocrates hésitants – afin qu’ils l’aident à faire passer des lois complexes sur l’économie, la santé et l’énergie.
Le projet n’en est qu’à ses balbutiements
Ce projet pourrait provoquer un malaise chez certains membres du Congrès qui n’apprécieront sans doute guère que le réseau politique d’Obama cherche à leur forcer la main depuis leurs propres circonscriptions. Déjà, des responsables du Parti démocrate au niveau des Etats craignent que ce réseau ne devienne une force politique concurrente au service des ambitions du président.
Même si le projet n’en est qu’à ses balbutiements, une source proche du dossier affirme que cette structure pourrait disposer d’un budget annuel de 75 millions de dollars, provenant de fonds privés. D’après une autre source, des centaines de personnes rémunérées seraient mises à contribution – peut-être une par circonscription dans certains Etats politiquement importants, voire davantage dans des Etats-clés comme le Colorado, la Virginie et la Caroline du Nord.
Ce personnel à plein temps serait constitué principalement de militants pro-Obama – pour la plupart âgés de 20 à 30 ans – qui ont servi, pendant la campagne, de contacts locaux au sein du gigantesque réseau de bénévoles de quartier. Dans le cadre du nouveau réseau, ces jeunes recrues feraient à peu près le même travail que lors de la campagne: mettre en place des centres d’appels, distribuer des pancartes, recruter des collaborateurs, acheter du café et des beignets pour les réunions à domicile et transmettre les coordonnées d’électeurs à leurs supérieurs.
“La seule façon de maintenir l’élan, c’est de rester très présents sur le terrain”, explique un stratège politique qui connaît ce projet mais tient à garder l’anonymat, car les membres de l’équipe d’Obama ne sont pas autorisés à en parler.
Par ailleurs, l’équipe politique d’Obama étudie la possibilité de créer un collectif de solidarité qui utiliserait l’immense contingent de partisans locaux mobilisés pendant la campagne. D’après une source proche du dossier, cette organisation à but non lucratif aurait pour mission d’aider les victimes de catastrophes naturelles, mais elle le ferait sous la tutelle d’Obama, tout en continuant à alimenter l’énorme base de données d’e-mails du réseau. C’est la première fois qu’un président prendrait la tête d’une organisation de solidarité en dehors du cadre de son gouvernement.
Faire mieux que Karl Rove et que les Républicains
La nouvelle organisation de solidarité restera indépendante, mais le réseau de soutien au président sera, lui, placé sous la tutelle du Comité national démocrate [DNC, l’organe exécutif du Parti démocrate]. Obama a récemment nommé son ami Tim Kaine, le gouverneur de Virginie, au poste de président du DNC, et son directeur de campagne pour les Etats disputés, Jennifer O’Malley Dillon, au poste de directeur général.
Certains dirigeants de l’équipe de campagne d’Obama, comme son ancien directeur de campagne adjoint Steve Hildebrand, avaient fait valoir que le dispositif de terrain devait être maintenu à l’écart du DNC. Sans quoi, il risquait de faire fuir les républicains ou les indépendants séduits par Obama, mais qui n’apprécieraient pas d’être associés au Parti démocrate. Ils n’ont pas obtenu gain de cause.
Un système centralisé, piloté par le DNC, marquerait une rupture avec la tradition démocrate consistant à s’appuyer sur des fédérations du parti, solidement implantées au niveau local ou au niveau des Etats. Ce système s’apparenterait davantage à la structure républicaine instaurée sous le président Bush, dont le gourou politique Karl Rove avait orchestré la campagne de réélection de 2004 depuis la Maison-Blanche en utilisant une base de données centrale du Parti républicain. A cette importante différence près que les républicains utilisaient leur réseau pour cibler les démocrates, tandis que le système d’Obama servirait en partie à influencer des membres du parti du président lui-même.
Par exemple, des législateurs démocrates issus de circonscriptions plutôt conservatrices pourraient refuser de voter pour un projet de loi d’Obama sur le réchauffement climatique. En ce cas, la Maison-Blanche ou le DNC pourraient utiliser le nouveau réseau pour organiser des campagnes téléphoniques, des manifestations ou des voyages de lobbying destinés à inciter ces législateurs à soutenir Obama.
“On peut tout à fait resserrer la liste sur des gens qui n’ont pas toujours voté démocrate”, estime un collaborateur du chef du groupe démocrate à la Chambre des représentants. Ce collaborateur estime que la pression exercée sur les députés pourrait en fait servir les démocrates dans ces circonscriptions. Ils pourraient soit se prévaloir d’un soutien massif à la politique d’Obama pour voter en sa faveur, soit au contraire décider de marquer des points parmi les conservateurs en se rebiffant contre les militants. “Dans un cas comme dans l’autre, ils seraient couverts”, assure-t-il.
Un autre stratège du Congrès précise toutefois que certains législateurs, dans des circonscriptions très disputées, nourrissent des craintes envers le projet d’Obama, et qu’ils “attendent de voir si oui ou non ils subiront des pressions dans leurs fiefs”.
Le parti ne doit pas tourner autour d’un individu”
Des stratèges des deux partis estiment que le projet en cours risque de créer sur le terrain une machine de guerre politique bien plus puissante que les discours, les conférences de presse et les techniques de collecte de fonds traditionnellement utilisées par les présidents. “Personne n’a encore jamais disposé d’un tel outil”, reconnaît le stratège républicain Ed Rollins qui a mené des opérations politiques sous la présidence de Reagan. “En cas de succès, ce serait la plus grande organisation politique jamais constituée.”
Pour faire fonctionner le réseau, la DNC travaillerait en étroite collaboration avec le bureau politique de la Maison-Blanche, dirigé par des organisateurs de campagne expérimentés et rompus aux tactiques chères à Obama consistant à utiliser Internet pour mobiliser en masse des bénévoles à l’échelon des quartiers.
La campagne présidentielle d’Obama a réuni une base de données de 13 millions d’adresses e-mail et permis de recruter des dizaines de milliers de bénévoles et de coordinateurs de quartier. Certains stratèges estiment que ce réseau peut encore être développé d’ici à 2012, quand Obama se présentera pour un second mandat.
Des dirigeants démocrates au niveau des Etats, ainsi que des membres du Congrès, expriment des inquiétudes au sujet des ambitions d’Obama. “Le parti ne doit pas s’enraciner uniquement autour d’un individu”, fait valoir Jerry Meek, leader du Parti démocrate de Caroline du Nord. “Il doit avoir une base locale qui s’inscrive dans la durée et reste implantée quel que soit le président en place. Obama fait beaucoup de propositions, mais les fédérations démocrates à l’échelon des Etats n’ont pas pour seule mission de réaliser les objectifs du président, elles ont aussi un rôle à jouer dans l’élection des commissaires des comtés, des membres des conseils scolaires et des membres du corps législatif.”
Peter Wallsten, Los Angeles Times
   


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