La stratégie Obama est-elle importable en France?
Actualité oblige, voilà une note de travail qui a connu une rare omniprésence médiatique. Le think tank Terra Nova, «fondation progressiste», a publié en début de semaine un rapport conséquent sur la stratégie électorale de Barack Obama. Au terme d'une mission de trois semaines aux Etats-Unis, l'usage d'Internet, des réseaux sociaux militants, et l'emploi de bases de données sont longuement décryptés et analysés, par le biais de 80 entretiens.
De la redoutable organisation mise en œuvre par le parti démocrate d'Howard Dean renforcé par la personnalité charismatique d'Obama, on retient de cette étude très fouillée l'optimisation de vieilles recettes militantes comme le porte-à-porte ou le démarchage téléphonique, la modernisation du recrutement électoral par un ciblage très précis et l'inspiration du modèle caritatif pour mener la campagne.
En revanche, les préconisations pour l'importation de la méthode Obama en France émises par l'étude (coordonnée par la fondation en partenariat avec le ministère des affaires étrangères, Euro RSCG C&O, La Netscouade, Opinionway, Spintank, iPol, le German Marshall Fund of the United States, la Brookings Institution et le Center for American Progress) suscitent quelques interrogations. L'obamania doit-elle nous faire plonger dans une américanisation de la vie politique?
Tour d'horizon des «leçons d'Amérique», avec Olivier Ferrand et Benoît Thieulin, fondateurs de Terra Nova et la Netscouade.
Quid de la fracture numérique française?
Comme on l'a vu lors de notre reportage à Lille, sur les pas d'Europe écologie (le premier mouvement politique français à s'essayer au réseau social de campagne), tous les Français, loin de là, ne sont pas adeptes d'Internet. «Il n'y a pas de grandes différences entre les sociétés française et américaine par rapport à l'usage du web, à peine quelques mois de retard, explique Benoît Thieulin. D'ici deux ans, tout le monde pourra se connecter depuis son téléphone, y compris ma grand-mère.» Olivier Ferrand ajoute: «L'utilisation du web pour mobiliser des militants est surtout valable pour les moins de 30 ans, les retraités et les femmes au foyer.»
L'investissement massif dans l'internet politique aurait surtout du sens pour rationaliser le militantisme. Selon Olivier Ferrand, «l'objet ultime est de créer des militants en faisant tomber les barrières d'entrée dans le parti, en faisant venir la campagne à l'internaute en un seul clic». Et Benoît Thieulin de noter qu'«un site politique n'est pas destiné au grand public, et qu'en général ils connaissent de faibles audiences, car ils intéressent surtout les sympathisants qui, eux, peuvent être convaincus de participer à la campagne».
Mais d'après lui, «le problème principal vient du déficit numérique de nos élites politiques. Obama, c'est un vrai “nerd”!». Il est vrai qu'en France, on s'enthousiasme quand un politique tient un blog. Le patron de la Netscouade ajoute: «J'ai eu la chance d'assister à la dernière “war-room” de l'équipe Obama. J'étais quasiment le plus vieux de la pièce, et j'ai 35 ans! Cela révèle tout de même un problème de confiance des cadres politiques envers les jeunes militants…»
Une campagne axée sur l'argent
À la lecture des conclusions de l'enquête, on retient également un discours évoquant sans tabou les contraintes financières de la compétition politique. Olivier Ferrand détaille l'enjeu du financement privé: «Lors de la dernière présidentielle, le seuil était fixé à 20 millions d'euros. L'Etat en rembourse la moitié si on atteint les 5% et, généralement, le parti finance les 10 millions restants. Or Sarkozy a recueilli 7 millions de dons dès 2006, quand Royal obtenait à peine 100.000 euros. Cela a permis à l'UMP d'investir son argent dans la préparation de l'élection (sondages, cellule de permanents, web-TV).» Terra Nova préconise l'autorisation de dons personnels limités à 100 euros, tout en augmentant le plafond du financement de campagne.
L'autre révélation de l'étude réside dans l'utilisation de fichiers commerciaux, véritable nœud du succès d'Obama, via la fameuse base de données Catalist, reposant sur des achats de listings et enrichie quatre ans durant par les collectes d'information militantes. Selon Olivier Ferrand, «il n'y a rien qui empêche d'opérer de la même façon en France. Nous avons rencontré la CNIL qui nous l'a confirmé. Les seules limites sont de ne pas pouvoir utiliser les données ethniques et religieuses. Mais les données commerciales permettent d'en savoir bien plus que n'importe quel sondage».
Nouveau marqueur de la volonté d'en finir avec les campagnes traditionnelles, il conseille aux partis de réorienter les budgets prévus pour l'impression de tracts et l'organisation de grands meetings, pour permettre d'acheter les fichiers.
Enfin, Terra Nova appelle à professionnaliser le militantisme, comme les field organizer d'Obama, sorte de missi dominici décentralisés ayant en charge d'organiser le porte-à-porte. Une idée pas très novatrice en réalité, qui reviendrait simplement à rationaliser et organiser un système de permanents fédéraux, rôle souvent tenu aujourd'hui en France par les conjoints, la famille ou les collaborateurs d'élus locaux.
Benoît Thieulin explique comment la professionnalisation de l'encadrement militant permet de maximiser l'efficacité: «Cela permet un renouvellement de l'offre politique à la base, par un militantisme par la preuve. Durant la campagne américaine, il n'y avait pas de place pour les sentiments, de la part des "encadrants": si t'es bon, tu grimpes vite dans l'organigramme. Si tu ne remplis pas tes objectifs de recrutement, on te met de côté. Il y a une certaine méritocratie militante.»
Un encouragement problématique du bipartisme
Dans ses préconisations au législateur, Terra Nova plaide en faveur d'une suppression du mécanisme des 500 signatures, au profit d'une pétition populaire d'un million de signatures, ou d'une qualification automatique pour les candidats de parti ayant recueilli plus de 5% aux dernières législatives.
Un tel système mettrait en péril les organisations d'extrême gauche ou le Front national, comme le PCF ou les Verts, dans l'obligation de collecter un nombre de signataires équivalant à environ 200 fois son nombre d'adhérents. «Certes, mais ça permet de créer une mobilisation des militants qui n'est plus stérile et invisible, comme lors de la recherche de parrainages municipaux, mais qui participe à une dynamique de campagne et de conviction populaire», justifie Olivier Ferrand.
Autre principe encourageant le bipartisme: le remplacement de la règle d'égalité du temps de parole pendant la campagne présidentielle, au profit de la règle d'équité. La représentation de chacun dans les médias serait alors mesurée «en fonction du poids estimé dans l'opinion». Un François Bayrou qui entamerait la campagne autour de 7% dans les sondages ne pourrait alors s'exprimer qu'à hauteur de cette estimation, quand un Nicolas Sarkozy à 30% obtiendrait d'emblée un tiers du temps de parole.
Enfin, Terra Nova se prononce pour une libéralisation de la production des spots télévisés de la campagne officielle, pour en finir avec l'amateurisme ringard des expressions, au profit d'une liberté de création et une diffusion dans des créneaux publicitaires. Une prime donnée aux plus riches, qui pourrait alors faire la différence dans la création des spots. «C'est vrai, mais ce n'est pas illégitime non plus, assume Olivier Ferrand. La question essentielle est d'en finir avec la mauvaise image de la politique.»